Il y a quelque chose de profondément ironique à voir un pays du G7 se réveiller, fin décembre, avec une loi spéciale en guise de budget. Comme un automobiliste qui s’entête à rouler 300 km sur une galette de secours, le gouvernement nous jure que tout va très bien, que la mécanique est robuste, et qu’en janvier — promis — on remettra des pneus neufs.
Sauf que voilà : les pneus neufs, il faudra les négocier avec une Assemblée en guerre contre elle-même. Et en attendant, c’est tout l’État qui avance au ralenti.
Une “roue de secours budgétaire” votée à l’unanimité… par résignation
L’Assemblée et le Sénat ont voté la loi spéciale à l’unanimité — exploit rarissime qui, paradoxalement, ne dit rien d’un quelconque consensus. On ne vote pas une loi spéciale par conviction : on y consent comme on accepte une béquille après s’être cassé la jambe.
Cette loi autorise trois choses, et trois seulement :
percevoir l’impôt,
transférer les ressources habituelles aux collectivités,
emprunter pour payer les factures de l’État.
Et c’est tout. Aucun choix politique. Aucun arbitrage nouveau. Rien que du maintien vital.
Le ministre Roland Lescure résume la chose à sa façon : une roue de secours qui doit tenir “quelques kilomètres” avant de remettre un vrai budget sur la voiture .
Le problème ? Cela fait deux ans que la France roule ainsi.
Un État en mode “service minimum” : quand le provisoire devient une politique
La loi spéciale, ce n’est pas seulement un geste technique. C’est un coup de frein brutal sur des pans entiers de l’action publique.
1) Les investissements sont paralysés
Impossible de financer France 2030, ni les projets de décarbonation des grands sites industriels, ni l’hydrogène décarboné : près d’un milliard d’euros restent coincés dans le tuyau .
Impossible de commander les nouveaux équipements militaires prévus par la LPM (6,7 Md€). Dans un contexte géopolitique au bord de l’insolation, c’est… disons audacieux.
2) Les politiques du quotidien sont gelées
Le fameux MaPrimeRénov’ ne peut pas rouvrir : les ménages prêts à isoler leurs logements attendront.
Les 4 000 recrutements dans les ministères régaliens sont suspendus.
1 600 postes de magistrats, greffiers et agents pénitentiaires : gelés.
Réforme des concours enseignants : reportée.
Nouvelles brigades de gendarmerie : au frigo.
Le gouvernement a beau jurer que “ce n’est pas le chaos”, on adore cette catégorie d’arguments qui n’existent que lorsqu’on commence justement à y penser.
Les collectivités locales : sous perfusion 2025
Les communes, départements et régions recevront leurs dotations mensuelles… mais au niveau de 2025, sans possibilité d’ouvrir les crédits d’investissement (DETR, DSIL, FNADT).
En clair : elles peuvent payer les factures, pas développer leur territoire.
Un maire rural apprécierait qu’on lui explique comment lutter contre la désertification avec un budget figé dans le passé.
Une surprise fiscale pour 200 000 ménages
Faute de vote budgétaire, le barème de l’impôt sur le revenu reste celui de 2025, non indexé.
Résultat :
➡️ 200 000 foyers supplémentaires entrent dans l’impôt en 2026, mécaniquement, sans aucune décision politique explicite.
L’impôt furtif. La fiscalité ninja.
Le 49.3 plane comme un vautour
Lecornu fait mine de croire au compromis, mais l’odeur du 49.3 remplit déjà l’hémicycle.
LFI promet une motion de censure immédiate si le gouvernement y recourt.
Les écologistes l’annoncent déjà : en cas de 49.3, ils voteront la censure.
Les socialistes — indispensables pour atteindre les 289 voix — deviennent la force pivot.
Le gouvernement joue donc les équilibristes : assez de concessions pour éviter la chute, pas trop pour ne pas fâcher la droite. Bref : un exercice de funambulisme avec une foule hostile des deux côtés.
Cinq “grands thèmes” pour trouver la paix… ou repousser l’échéance
Comme chaque année, l’exécutif découvre soudain une passion ardente pour le compromis. C’est beau comme un film de Noël.
Les thèmes du “rassemblement” ?
Agriculture
Logement
Recherche et universités
Outre-mer
Financement des collectivités
On croirait lire la liste de courses d’un Premier ministre qui sait déjà qu’aucun chariot ne suffira.
La vraie question : que se passe-t-il si janvier échoue ?
Ce que Lescure ne dit qu’à demi-mot, mais qui est clair comme de l’eau de roche :
➡️ Au-delà de janvier, l’économie française se grippe.
➡️ Les entreprises retardent leurs investissements.
➡️ Les programmes publics prennent des mois de retard.
➡️ La dette continue de s’alourdir, mais avec zéro stratégie.
C’est un peu comme dire à un chirurgien : “on t’autorise à utiliser ton stéthoscope, mais pas à opérer”.
Conclusion : un pays qui vit à découvert politique
La France vit au-dessus de ses moyens démocratiques : un régime où l’exécutif ne peut plus faire adopter un budget, où les majorités se construisent à la petite semaine, et où chacun menace de tout casser pour exister.
La loi spéciale n’est pas une crise.
Elle est le symptôme d’un système qui tourne à vide.
Et la question à poser, en bon rédacteur grincheux mais lucide, c’est celle-ci :
Combien de temps un pays peut-il rouler à la roue de secours avant que la jante ne chauffe ?
Budget 2026: France Is Running on a Spare Tire… How Far Can It Go?
There is something almost comical — or tragic, depending on your tolerance for political absurdity — about watching a G7 nation end the year with a special law instead of an actual budget. It’s the governmental equivalent of driving 300 kilometers on a temporary spare tire while insisting, with a straight face, that everything is under control.
For the second year in a row, France enters January not with a financial roadmap, but with a legal patch job meant to keep the engine from stalling. And while ministers repeat that this is “not chaos,” the country is obviously running on emergency mode.
The truth is more uncomfortable: when the spare tire becomes standard practice, something is seriously wrong under the hood.
A “spare-tire budget” passed unanimously… out of resignation
Both chambers approved the special law unanimously — a rare sight in French politics, though it says more about resignation than consensus.
The text authorizes exactly three things:
- collecting taxes,
- transferring routine revenues to local governments,
- issuing debt to keep the State running.
No new spending. No policy choices. Just life support for public administration.
Finance minister Roland Lescure described it as “the spare wheel that lets you drive a few more miles until a real budget is voted.”
The problem? France has been driving on this thing for two years.
A country on “minimum service”: the cost of procrastination
Calling this a technical measure is misleading. The special law freezes, delays, or suspends entire fields of public action.
1) Investments: blocked across the board
- No funding for France 2030, industrial decarbonisation, hydrogen development — nearly €1 billion frozen.
- The armed forces cannot place new orders, despite a €6.7 billion increase planned in the military budget.
- Strategic programs are simply stuck in the doorway.
2) Everyday public services: slowed to a crawl
- MaPrimeRénov’, the flagship home-renovation scheme, cannot reopen.
- 4,000 new positions in key ministries: frozen.
- 1,600 hires in the justice system (judges, clerks, prison staff): frozen.
- Teacher-recruitment reform: suspended.
- New gendarmerie brigades: postponed.
“No, this isn’t chaos,” officials repeat. A reassuring phrase that tends to appear only when chaos is precisely what people fear.
Local governments: stuck in 2025
Regions, departments, and municipalities will receive their funding month by month — but at last year’s levels.
No investment grants. No new infrastructure. No territorial development.
It’s difficult to talk about “revitalising rural France” when budgets are frozen in the past.
A hidden tax hike: 200,000 new taxpayers
Because no budget was adopted, the income-tax brackets remain those of 2025, without inflation indexing.
Result:
➡️ 200,000 additional households will be taxed in 2026, by pure mechanical drift.
A kind of stealth taxation — the ninja version of fiscal policy.
49.3 looming over Parliament like a vulture
Prime Minister Sébastien Lecornu insists on finding compromise. Parliament, meanwhile, is sharpening its knives.
- France Insoumise has announced an immediate no-confidence motion if the government uses Article 49.3.
- The Greens say they will vote for censure in the same case.
- The Socialists — indispensable for reaching the 289 votes — hold the keys.
The government must therefore negotiate just enough to survive, but not enough to alienate the right. A delicate tightrope act with no safety net.
Five themes for a theoretical compromise
The executive suddenly discovers the virtues of dialogue — a seasonal miracle, perhaps.
Lecornu names five priority areas for agreement:
- agriculture,
- housing,
- research and universities,
- overseas territories,
- local-government funding.
It reads like the shopping list of a Prime Minister who knows the supermarket may already be closed.
The real question: what if January fails?
This is the part ministers prefer not to say aloud:
➡️ If no budget is adopted in January, France’s economy slows sharply.
➡️ Companies delay investments.
➡️ Public programs slip by months.
➡️ Debt continues to rise, but without direction or legitimacy.
It’s like allowing a surgeon to keep his stethoscope but prohibiting him from operating.
Conclusion: a democracy living on political overdraft
The French political system is reaching its breaking point:
- a government without a stable majority,
- an opposition that would rather block than negotiate,
- and a budgetary process collapsing under its own dysfunction.
The special law is not the crisis.
It’s the symptom.
And the uncomfortable question is this:
How long can a country keep driving on a spare tire before the rim starts to burn?