Par vieuxcon â uneautrevie.org
La France nâa pas de double comptabilitĂ©.
Elle en a trois â et toutes sont parfaitement lĂ©gales.
Câest mĂȘme le gĂ©nie discret de notre bureaucratie : empiler les transparences pour produire de lâombre.
I. La République et ses trois livres
Officiellement, lâĂtat pratique la âsincĂ©ritĂ© budgĂ©taireâ.
Mais derriĂšre cette vertu de vitrine se cachent trois registres distincts :
1ïžâŁ La comptabilitĂ© budgĂ©taire, votĂ©e par le Parlement, oĂč lâon suit les crĂ©dits âouvertsâ et âconsommĂ©sâ.
2ïžâŁ La comptabilitĂ© gĂ©nĂ©rale, qui enregistre les droits et obligations, façon entreprise, avec son propre calendrier.
3ïžâŁ La comptabilitĂ© nationale, celle dâEurostat et de Bruxelles, qui recalcule tout selon ses critĂšres pour afficher le fameux â3 % de dĂ©ficitâ.
Trois visions du mĂȘme Ătat. Trois chiffres diffĂ©rents.
Et entre les trois, un ocĂ©an de marges de manĆuvre.
II. Le grand glissement des ârestes Ă payerâ
Selon la Cour des comptes, la France traĂźne plus de 160 milliards dâeuros de ârestes Ă payerâ : des dĂ©penses engagĂ©es mais non encore rĂ©glĂ©es.
Autrement dit, le passé grignote chaque budget futur.
Ce mĂ©canisme, censĂ© ĂȘtre transitoire, est devenu une stratĂ©gie : on repousse, on reporte, on maquille.
Chaque gouvernement repousse la poussiÚre sous le tapis budgétaire du suivant.
Résultat : un déficit réel supérieur à celui voté, mais étalé dans le temps.
La Cour parle pudiquement de ârigidification des marges de manĆuvreâ.
En clair : un trou quâon Ă©tire pour quâil paraisse moins profond.
III. Les fonds spéciaux et les dépenses classifiées
Il existe, dans les profondeurs du budget, des chapitres quâaucun citoyen ne peut lire.
Les âfonds spĂ©ciauxâ â environ 70 Ă 90 millions dâeuros par an â couvrent les activitĂ©s du renseignement, de la diplomatie et de certaines opĂ©rations sensibles.
Leur usage est vérifié⊠mais pas détaillé.
Seuls quelques parlementaires y ont accÚs, sous serment, sans possibilité de publication.
La Commission de vĂ©rification des fonds spĂ©ciaux (CVFS) note chaque annĂ©e des âlimites de traçabilitĂ©â.
En clair : tout est lĂ©gal, mais rien nâest vĂ©rifiable.
IV. Les circuits parallĂšles : missions et plans
Autre invention administrative : les âmissions interministĂ©riellesâ (comme France 2030 ou Plan de relance).
Elles rassemblent des crédits venus de plusieurs ministÚres, échappant ainsi à une lecture consolidée.
Ces crĂ©dits circulent dâune annĂ©e sur lâautre, se âreprogrammentâ et se âredĂ©ploientâ avec une agilitĂ© remarquable.
Résultat : des dizaines de milliards circulent hors du radar du budget général, dans des tuyaux légaux mais opaques.
La Cour des comptes les qualifie de âzones grises de la dĂ©pense publiqueâ.
Le déficit fantÎme se cache souvent là : pas dans la fraude, mais dans la fragmentation.
V. Le brouillard des consultants
Ă cela sâajoute une externalisation massive : plus dâun milliard dâeuros par an dĂ©pensĂ©s en âprestations intellectuellesâ (SĂ©nat, 2023).
La Cour des comptes le confirme : âpour trois quarts des 890 millions versĂ©s en 2021, les prestations concernent lâinformatique ou le conseil stratĂ©gique, Ă traçabilitĂ© insuffisante.â
Ce nâest pas une caisse noire, mais une dĂ©lĂ©gation dâĂtat sans tĂ©moin.
Quand la politique devient un marché, la transparence se négocie au forfait.
VI. LâopacitĂ© lĂ©gale
Tout cela nâest pas illĂ©gal.
Câest mĂȘme inscrit dans la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
La France a institutionnalisĂ© lâambiguĂŻtĂ© : une architecture comptable faite pour obĂ©ir Ă la rĂšgle tout en la contournant.
On ne triche pas.
On redéfinit les cases.
Câest la beautĂ© froide de la comptabilitĂ© publique : tout est public, sauf ce qui compte.
đ§© Conclusion
Il nây a pas de double comptabilitĂ© de lâĂtat français.
Il y a une polyphonie budgĂ©taire : trois partitions jouĂ©es en mĂȘme temps, chacune un peu juste, mais toutes en mesure.
Le dĂ©ficit nâest pas dissimulĂ©.
Il est réinterprété.
Et Ă force de transformer les chiffres en musique, la RĂ©publique a fini par sâhabituer Ă danser sur ses propres illusions.
đ Sources officielles
Cour des comptes â Le budget de lâĂtat en 2023 : rĂ©sultats et gestion (2024)
Cour des comptes â La situation des finances publiques dĂ©but 2025
SĂ©nat â Rapport 578 (2022) « Lâinfluence croissante des cabinets de conseil »
IGF â Rapport 2022-M-075-05 sur le recours aux prestations intellectuelles
CVFS â Rapport gĂ©nĂ©ral sur lâexercice 2016
Cour des comptes â SynthĂšse 2023 sur les prestations intellectuelles
đŹđ§ Phantom Deficit III â The Republicâs Three Ledgers: Anatomy of Legal Opacity
by vieuxcon â uneautrevie.org
France doesnât keep a double set of books.
It keeps three â all perfectly legal.
That, perhaps, is the quiet genius of French bureaucracy: stacking transparencies until they turn opaque.
I. The Republicâs three ledgers
The State boasts of âbudgetary sincerity.â Yet behind the slogan lie three distinct accounting systems:
1ïžâŁ Budgetary accounting â the one Parliament votes on, tracking credits âopenedâ and âspent.â
2ïžâŁ General accounting â the corporate-style record of assets and liabilities, on a different timeline.
3ïžâŁ National accounting â the Eurostat version, where everything is recalculated to meet the famous 3 % rule.
Three visions of the same State. Three different truths.
And between them, an ocean of wiggle room.
II. The great drift of unpaid bills
According to Franceâs Court of Auditors, more than âŹ160 billion in ârestes Ă payerâ â expenses committed but not yet paid â roll over from year to year.
The past quietly eats every new budget.
What began as a technical convenience has become a strategy: defer, re-label, re-schedule.
Each government pushes the dust beneath the next oneâs carpet.
The Court calls it ârigidification of fiscal margins.â
In plain words: stretching the hole so it looks shallower.
III. Special funds and classified spending
Deep in the budget lurk chapters the public cannot read.
The âspecial fundsâ â roughly âŹ70 to âŹ90 million a year â finance intelligence, diplomacy, and covert operations.
Their use is checked â but not detailed.
Only a few sworn MPs see them, under strict secrecy.
Even the oversight commission admits âlimits in traceability.â
Everything is legal; nothing is verifiable.
IV. Parallel circuits and missions without a map
Another elegant trick: interministerial missions like France 2030 or the Recovery Plan.
They pool money from multiple ministries, sidestepping any consolidated view.
Funds roll forward, get âreprogrammed,â and reappear elsewhere.
Billions move outside the general budget â in legal yet invisible pipes.
The Court of Auditors calls them âgrey zones of public spending.â
The phantom deficit often hides there: not in fraud, but in fragmentation.
V. Consultants: outsourcing opacity
Add to this an avalanche of consulting contracts â over âŹ1 billion a year, the Senate found in 2023.
The Court of Auditors confirmed:
âThree-quarters of the âŹ890 million paid in 2021 concerned IT or strategic consulting, with insufficient traceability.â
No slush fund â but an unobserved delegation of State power.
When governance becomes a market, transparency turns negotiable.
VI. Legal opacity
None of this is illegal.
Itâs enshrined in the LOLF, Franceâs organic budget law.
The Republic has institutionalised ambiguity â a system designed to obey rules while bending them.
No cheating.
Just creative compliance.
Thatâs the beauty of French public accounting:
everything is public â except what matters.
đ§© Conclusion
Franceâs finances donât hide a double entry.
They perform a polyphonic accounting: three ledgers playing in counterpoint, all slightly off-key yet perfectly in tune.
The deficit isnât concealed.
Itâs reinterpreted.
And by turning numbers into music, the Republic has learned to dance to its own illusions.
đ Sources (official)
Cour des comptes â Le budget de lâĂtat en 2023 : rĂ©sultats et gestion (2024)
Cour des comptes â La situation des finances publiques dĂ©but 2025
SĂ©nat â Rapport 578 (2022) âLâinfluence croissante des cabinets de conseilâ
IGF â Rapport 2022-M-075-05 âPrestations intellectuelles et recours aux cabinets de conseilâ
CVFS â Rapport gĂ©nĂ©ral sur lâexercice 2016