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France : un État social au service du privé ? Quand l’« austérité » devient la réponse par défaut

arianne versant l’argent public aux grandes entreprises pendant que le peuple regarde

Économie – publié le 22/10/2025

Par Rémy Peyrard


L’addition arrive : austérité pour tous… sauf pour quelques-uns

La dette et les déficits publics ont explosé sans que la croissance ne suive. Fin 1er trimestre 2025, la dette publique atteint 3 345,4 milliards d’euros, soit 113,9 % du PIB (contre ~100 % en 2017). Insee
Pour 2025, la cible officielle de déficit est 5,4 % du PIB – un niveau que même la Cour des comptes juge être « vraiment le maximum » supportable, et que le FMI appelle à réduire par une stratégie crédible et continue de resserrement budgétaire. Le Monde.fr+1

Dans ce contexte, l’ordonnance politique paraît écrite d’avance : austérité. Mais la facture est inégalement répartie : les ménages contribuent davantage que les entreprises via l’impôt sur le revenu et surtout la TVA, pendant que l’État multiplie les dispositifs de soutien aux sociétés – parfois sans contreparties solides.


Trente ans de glissement : de l’État-providence à l’« État actionnaire de marges »

Depuis la fin des années 1980, l’intervention publique n’a pas disparu : elle s’est reconfigurée. Les instruments (allègements de charges, crédits d’impôt, dépenses fiscales, subventions, garanties) se sont empilés au nom de la compétitivité. Une grande enquête du Sénat (juillet 2025) a dû estimer elle-même le volume d’« aides publiques aux entreprises », faute de comptabilité consolidée à Bercy : au moins 211 milliards d’euros en 2023 (périmètre large), ou 108 milliards (périmètre restreint), et des milliers de dispositifs hétérogènes. Sénat+2Sénat+2

Le même rapport documente des plans sociaux dans de grands groupes soutenus par de l’argent public et distribuant aussi des dividendes, posant la question de conditionnalités (emploi, investissement, délocalisations) trop faibles ou mal appliquées. Exemples cités : ArcelorMittal, STMicroelectronics, LVMH (avec détails chiffrés sur aides et dividendes dans le rapport). Sénat


Qui finance la protection sociale ? Le curseur a bougé

Au fil des réformes, le financement de la protection sociale s’est déplacé : hausse de la part de l’État et des impôts affectés (CSG, TVA), baisse relative de la contribution des employeurs. L’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance-maladie) – voté chaque année depuis 1997 – met la santé sous contrainte budgétaire parlementaire, signe d’un pilotage de plus en plus « au cordeau ». Cour des Comptes+1

Côté ménages, la pression s’est accrue : le prélèvement forfaitaire unique (« flat tax ») à 30 % sur les revenus du capital, instauré en 2018, a simplifié et abaissé l’imposition marginale de nombreux dividendes/plus-values (par rapport au barème progressif jusqu’à 45 %). Les travaux de l’IPP montrent une hausse notable des dividendes versés après la réforme, sans effet clair sur l’investissement. Escec+1


Résultats macro : beaucoup d’efforts publics, peu de retombées partagées

Malgré les soutiens, l’industrie reste erratique : baisse en janvier 2025, rebond en février, puis une trajectoire chahutée depuis 2023. Insee+1
Côté social, l’Insee mesure un taux de pauvreté à 15,4 % en 2023, un plus haut depuis 1996 – soit près de 9,8 millions de personnes en métropole. Insee+2Insee+2

Sur l’efficacité budgétaire, l’OFCE et plusieurs économistes (IPP, etc.) convergent : les baisses d’impôts sur le capital n’ont pas tenu leurs promesses en termes d’investissement et de croissance, rendant le coût budgétaire net peu défendable. ipp.eu+1


« Austérité » : la solution par défaut… et ses angles morts

Face à la dérive des comptes (écart de 60 milliards entre prévisions et réalisé sur 2023-2024 selon un rapport parlementaire), le réflexe est la coupe générale. Or l’expérience européenne post-2008 a montré que des plans pro-cycliques réduisent le PIB plus vite que le déficit – et déplacent l’ajustement sur les ménages et les services publics. Le Monde.fr

Le FMI appelle à un resserrement « soutenu et crédible », ciblant dépenses inefficaces et niches, plutôt qu’un rabot aveugle. Traduction politique : revoir les dépenses fiscales et rationaliser les aides aux entreprises (conditionnalités, contreparties, évaluation). Reuters


Ce qu’on peut faire maintenant (agenda minimal, réaliste)

Publier chaque année un « jaune budgétaire des aides » exhaustif (par dispositif, taille d’entreprise, territoire), comme le recommande le Sénat ; réduire d’un tiers le nombre de dispositifs à horizon 2030. Sénat

Conditionner aides et allègements à des engagements opposables (investissement, emploi, décarbonation, non-délocalisation) avec clause de remboursement en cas de manquement. Sénat

Cibler les niches coûteuses et peu efficaces : revue des dépenses fiscales attachées au revenu/au capital, évaluation du CIR (plafonds de sous-traitance, secteurs exclus). Cour des Comptes+1

Rééquilibrer la charge fiscale : aligner progressivement l’imposition effective du capital sur le travail (PFU, plus-values), sans fragiliser l’investissement productif ; tenir compte des travaux IPP sur les effets faibles des baisses passées. ipp.eu

Protéger la demande pendant l’ajustement : éviter les coupes qui creusent la pauvreté (déjà au plus haut depuis 1996). Prioriser la chasse aux dépenses inefficaces et l’élargissement d’assiettes plutôt que la baisse des transferts aux ménages modestes. Insee


Chiffres-clés 2025

Dette publique (Q1 2025) : 3 345,4 Mds€ (113,9 % PIB). Insee

Déficit visé 2025 : 5,4 % du PIB (FMI : effort pluriannuel requis). Reuters

Aides publiques aux entreprises 2023 : 211 Mds€ (périmètre large), 108 Mds€ (restreint). Sénat

Pauvreté 2023 : 15,4 % (record depuis 1996). Insee

Flat tax : 30 % sur revenus du capital depuis 2018 ; hausse mesurée des dividendes, effet d’investissement faible. Escec+1


Conclusion : remettre des conditions et du sens

Il ne s’agit pas d’opposer « État social » et « compétitivité », mais d’exiger enfin des résultats vérifiables pour l’argent public. La France peut assainir ses finances sans casser sa demande intérieure ni punir les plus fragiles : en triant ses aides, exigeant des contreparties et en corrigeant un biais fiscal qui a trop favorisé les revenus du capital sans retombées mesurables sur l’investissement et la productivité. C’est ce réarmement de l’État stratège – transparent, conditionnel, évalué – qui manque, plus que l’austérité-réflexe.


Sources principales

INSEE (dette, pauvreté, industrie) ; Cour des comptes (ONDAM) ; FMI (avis 2025) ; Sénat – Commission d’enquête 2025 (211 Mds€ d’aides et recommandations) ; IPP (effets du PFU sur dividendes/investissement) ; OFCE (efficacité des baisses d’impôts). OFCE+6Insee+6Insee+6

 

France’s Social State for the Private Sector? When “Austerity” Becomes the Default Answer

 


The bill is due: austerity for most… exemptions for a few

Public debt and deficits have surged without a matching rise in growth. By Q1 2025, public debt stood at €3,345.4 billion, or 113.9% of GDP (vs. ~100% in 2017).
For 2025, the official deficit target is 5.4% of GDP—a level watchdogs say must be brought down with a credible, sustained consolidation path.

In that setting, the political script tends to write itself: austerity. Yet the burden is uneven: households contribute more than firms through income tax and especially VAT, while the state multiplies business-support schemes—often with weak or missing conditionality.


Three decades of drift: from welfare state to “margin-maximizing state”

Since the late 1980s, state intervention hasn’t vanished; it has been re-engineered. Layer upon layer of instruments (payroll tax cuts, tax credits, subsidies, guarantees) were justified in the name of competitiveness. A major Senate inquiry (July 2025) had to estimate the overall volume of “public aid to companies” because no consolidated ledger existed at the finance ministry: at least €211 billion in 2023 (broad perimeter), or €108 billion (narrow perimeter), spread across thousands of disparate schemes.

That report also documents layoffs at large groups supported by public money while also paying dividends—sharpening the question of enforceable conditions on jobs, investment, and offshoring.


Who funds social protection? The slider moved

Over successive reforms, social protection financing shifted: a larger share from the state and assigned taxes (CSG, VAT), and a relative decline in employers’ contributions. Since 1997, the annual ONDAM cap voted by Parliament has tied health spending to a tight budget rule—evidence of increasingly “hard-budget” steering.

For households, pressure rose: the single flat tax at 30% on capital income (2018) simplified and lowered marginal tax on many dividends/capital gains relative to the progressive schedule (up to 45%). Research shows a marked rise in dividends after the reform, with no clear investment boost.


Macro outcomes: hefty public effort, thin shared returns

Despite support, manufacturing remains choppy: a dip in January 2025, rebound in February, then a bumpy track since 2023.
Socially, poverty reached 15.4% in 2023, the highest since 1996—roughly 9.8 million people in metropolitan France.

On budget effectiveness, leading institutes converge: tax cuts on capital have under-delivered on investment and growth, leaving a net fiscal cost that is hard to defend.


“Austerity”: the default cure—and its blind spots

With headline balances deteriorating (a €60 billion miss between forecasts and outcomes across 2023–2024, per Parliament), the reflex is across-the-board cuts. Yet Europe’s post-2008 experience shows pro-cyclical consolidations shrink GDP faster than the deficit—shifting the adjustment onto households and public services.

International advice now stresses a credible, sustained path focused on ineffective spending and tax expenditures, not indiscriminate cuts. Politically, that means reviewing business aid and tax niches, with conditions, evaluation, and pruning.


A realistic, minimal agenda (what to do now)

Publish an annual, exhaustive “yellow budget book” for business aid (by scheme, firm size, region), and trim one-third of schemes by 2030.

Condition aid and relief to binding commitments (investment, jobs, decarbonization, no offshoring), with clawbacks for breaches.

Target costly, low-impact tax expenditures: comprehensive review of tax niches on income/capital; tighten R&D credit rules (sub-contracting caps, excluded activities).

Rebalance effective taxation of capital vs. labor over time (PFU, capital gains), while ring-fencing productive investment—and heed evidence that previous capital-tax cuts had weak real-economy effects.

Protect demand during adjustment: avoid cuts that raise poverty (already at a multi-decade high). Prioritize inefficiency hunts and base-broadening over reducing transfers to low-income households.


2025 key figures

Public debt (Q1 2025): €3,345.4bn (113.9% of GDP).

Deficit target 2025: 5.4% of GDP (requires a multi-year, credible adjustment).

Business aid 2023: €211bn (broad) / €108bn (narrow).

Poverty 2023: 15.4% (highest since 1996).

Flat tax: 30% on capital income since 2018; dividends increased, investment impact unclear.


Conclusion: conditions, transparency, and purpose

This isn’t about pitting a social state against competitiveness. It’s about finally demanding verifiable outcomes for public money. France can repair its public finances without breaking domestic demand or penalizing the most vulnerable—by sorting its aid, enforcing conditions, and correcting a tax tilt that favored capital without measurable gains in investment or productivity. What’s missing is not another reflex of austerity, but a re-armed strategic state—transparent, conditional, and evaluated.