Fret SNCF : Le démantèlement d’un pilier du fret ferroviaire sous le feu des critiques
Les cheminots sont à bout. Les syndicats de la SNCF – CGT-Cheminots, Unsa-Ferroviaire, Sud-Rail et CFDT-Cheminots – exigent un moratoire sur le démantèlement de Fret SNCF. Si rien ne change, une grève illimitée débutera dès le 11 décembre. Ce morcellement, imposé à marche forcée par l’État actionnaire pour répondre aux injonctions de la Commission européenne, soulève des critiques unanimes : aberration économique, désastre écologique et drame social.
Avec la disparition de Fret SNCF au 1er janvier 2025 et sa scission en deux entités distinctes, Hexafret et Technis, c’est tout un pan de l’écosystème ferroviaire français qui vacille. Ce choix, présenté comme une solution à une menace de remboursement de 5,3 milliards d’euros de subventions publiques jugées illégales, suscite une indignation croissante chez les syndicats, mais aussi chez des experts et élus. Pourquoi un tel démantèlement ? Et surtout, à quel prix ?
Fret SNCF : un démantèlement déguisé en "plan de discontinuité"
Le démantèlement de Fret SNCF est la conséquence directe d’un accord signé en mai 2023 entre l’État français et la Commission européenne. Plutôt que de risquer un bras de fer juridique avec l’UE, l’État a accepté une restructuration drastique de la filiale fret de la SNCF. Ce “plan de discontinuité” prévoit notamment :
- La création de deux nouvelles entités :
- Hexafret, qui se concentrera sur le transport de marchandises avec 4 000 salariés et 1 100 trains longue distance.
- Technis, dédiée à la maintenance ferroviaire, avec 500 cheminots répartis dans une dizaine d’ateliers en France.
- Le transfert de 500 autres salariés vers d’autres branches de la SNCF.
- L’ouverture à hauteur de 49 % du capital de Rail Logistics Europe (RLE), qui chapeautera ces deux nouvelles entités, à des investisseurs publics ou privés.
En apparence, aucun licenciement sec. Mais depuis 2009, Fret SNCF a déjà perdu 7 500 emplois, soit 63 % de ses effectifs. Aujourd’hui, le démantèlement ne laisse que des miettes : les activités les plus rentables – les trains complets – ont déjà été cédées à des concurrents européens comme DB Cargo ou Lineas. Résultat : une perte de 23 lignes stratégiques représentant 30 % de l’activité de Fret SNCF.
Un désastre écologique et économique en perspective
Pour les syndicats, comme pour le cabinet Secafi ou la Commission d’enquête parlementaire sur le fret ferroviaire, cette scission relève d’un non-sens écologique et économique.
D’un point de vue écologique, le recul du fret ferroviaire est une catastrophe. En France, il ne représente plus que 10 % du transport de marchandises, contre 23 % en Allemagne. Et pourtant, le train est 14 fois moins polluant que le camion. La priorité accordée au transport routier contribue non seulement à une augmentation des émissions de CO2, mais aussi à des impacts collatéraux : pollution de l’air, congestion des routes, hausse des accidents. Les syndicats dénoncent une contradiction flagrante entre les discours politiques sur l’urgence climatique et les actes concrets.
Économiquement, les deux nouvelles entités Hexafret et Technis seront fragilisées. Le wagon isolé, principal segment d’activité d’Hexafret, est structurellement déficitaire sans aides publiques, et la scission risque d’entraîner une hausse des coûts et une chute des volumes transportés. Secafi évoque une "punition brutale", imposée selon un "calendrier fou", avec des conséquences désastreuses pour tout le secteur ferroviaire.
Une privatisation déguisée et une crise politique
Pour beaucoup, cette restructuration n’est qu’une privatisation déguisée. Avec l’ouverture du capital de RLE, un groupe financé à l’origine par des fonds publics pourrait bientôt enrichir des investisseurs privés. Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud Rail, résume : “On casse une branche construite avec l’argent des Français pour la mettre au service d’actionnaires privés.”
La colère monte également face à ce qui est perçu comme une "lâcheté politique" des gouvernements successifs. Depuis 2018, les discussions sur cette transformation auraient été menées en catimini, sans véritable opposition ni transparence. Plus grave encore, la Commission européenne a validé le 29 novembre 2024 une aide d’État de 1,9 milliard d’euros pour DB Cargo, l’équivalent allemand de Fret SNCF. Pourquoi une telle disparité de traitement ?
Un moratoire pour sauver le fret ferroviaire
Un an après la publication du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la libéralisation du fret ferroviaire, ses conclusions résonnent plus que jamais. Elle demandait déjà un moratoire pour suspendre ce démantèlement précipité, afin de protéger un secteur crucial pour la transition écologique. Mais à ce jour, cette revendication reste lettre morte.
Alors que deux syndicats – l’Unsa Ferroviaire et la CFDT – semblent prêts à se retirer de la mobilisation après des concessions sur les droits sociaux des cheminots, la CGT et Sud Rail maintiennent leur appel à la grève. Derrière cette bataille se joue bien plus qu’un simple conflit social : c’est l’avenir d’un modèle de transport respectueux de l’environnement et des travailleurs qui est en jeu.
Une décision irréversible ?
Fret SNCF est à un tournant de son histoire. Si le démantèlement est acté, les conséquences pourraient être irréversibles. Pourtant, d’autres options restent sur la table : contester les conclusions de l’enquête européenne, demander un délai pour examiner les alternatives ou négocier avec la nouvelle vice-présidente de la Commission à la concurrence, Teresa Ribera. Mais pour cela, il faut du courage politique – celui qui semble aujourd’hui cruellement manquer.
Alors que l’urgence climatique s’accélère, laisser mourir le fret ferroviaire revient à creuser sa propre tombe. Il est encore temps d’agir pour sauver un secteur clé de la transition écologique. Mais le temps presse.