ACCORD IRAN-ARABIE SAOUDITE : UN SÉISME GÉOPOLITIQUE AU MOYEN-ORIENT ?

L'Iran et l'Arabie Saoudite ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques en mars 2023, après plus de sept ans de rupture. Les deux pays, qui sont des rivaux régionaux, avaient tenu leurs premiers pourparlers en avril 2021 à Bagdad. Bien que les relations entre l'Arabie Saoudite et l'Iran aient été tendues en raison de différences religieuses et politiques, le rétablissement de leurs relations diplomatiques est considéré comme un événement géopolitique important au Moyen-Orient.
Un succès pour la Chine
C’est l’aspect le plus évident de l’événement. Le rapprochement irano-saoudien apparaît comme un brillant succès de la diplomatie chinoise. Pékin réalise ici un coup de maître, à forte charge symbolique : pour la première fois depuis 1945, la domination hégémonique des États-Unis dans le golfe arabo-persique est ébréchée, non pas par une puissance régionale qui s’y oppose – à l’image de l’Iran depuis 1979 – mais par une grande puissance extérieure, qui affirme de la sorte son ambition mondiale, à des milliers de kilomètres de son territoire. L’entrisme géopolitique de la Chine au cœur de cette raison stratégique constitue un défi ouvert lancé aux États-Unis, une contestation frontale de leur puissance, qui précipite la fin du monde unipolaire né en 1991 de la disparition de l’URSS.
Deux perdants : États-Unis et Israël
L’accord irano-saoudien constitue objectivement une preuve du déclin relatif de la position américaine dans la région du Golfe. Ajoutons que ce déclin est subi, quand il aurait pu être consenti.
La priorité donnée à l’indopacifique et la moindre dépendance des États-Unis vis-à-vis du pétrole saoudien avaient incité Barack Obama à mettre en œuvre, au cours de son second mandat, une politique moyen-orientale sensée et cohérente, destinée à apaiser les tensions et à permettre un allégement de la présence militaire américaine dans le Golfe.
Israël est l’autre perdant objectif du rapprochement irano-saoudien.
De toutes les monarchies du Golfe avec lesquelles l’État israélien espérait parvenir à une normalisation diplomatique, l’Arabie saoudite, compte tenu de son poids et de son influence, était la plus importante. Dans l’idéal, cette normalisation aurait pu se produire par l’élargissement à l’Arabie des Accords d’Abraham, c’est-à-dire sans qu’Israël ait à concéder quoi que ce soit de tangible au sujet de la question palestinienne (en 2020, Bahreïn et les Émirats se sont en effet contentés de quelques formules creuses de Tel-Aviv pour sauver les apparences et masquer leur faible intérêt pour le sort des Palestiniens).
Dans « l’Orient compliqué », l’intrusion spectaculaire de la Chine rebat donc en partie les cartes géopolitiques. Si elle marque l’avènement d’un ordre multipolaire dans une région hautement sensible, il est peu probable qu’elle modifie en profondeur les lignes de fractures qui la traversent. Elle pourrait en revanche contribuer à apaiser progressivement les tensions, à condition toutefois que les États-Unis acceptent, de leur côté, de renoncer à leur hégémonie régionale et s’engagent résolument dans la voie du dialogue et de la coopération sans exclusive. Si l’on en juge par les vingt années écoulées, cela n’a rien d’évident.