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La baisse des impôts des plus riches fragilise nos finances

ravi de lacrèche

Le creusement du déficit public servira à l’avenir de prétexte à la réduction des dépenses publiques et sociales. Henri Sterdyniak, membre des Économistes Atterrés et de l’OFCE (Observatoire Français des Conjectures Économiques), dresse le bilan de la politique d’Emmanuel Macron depuis les Gilets Jaunes et le Covid, en matière d’emploi, de réindustrialisation et de comptes publics. Il souligne les tabous dont elle procède et suggère quelques mesures allant dans le sens de la transition écologique, économique et sociale.

 

Emmanuel Macron s’était donné comme objectif de réduire nettement le poids des dépenses publiques qui, selon le programme de stabilité de 2018, devait passer de 55,1 % du PIB en 2017 à 51,1 % en 2022 ; le solde public devait passer -3,4 % du PIB à +0,3 % ; la dette de 97 % du PIB à 89 %. En réalité, en 2022, les dépenses publiques étaient à 57,8 % du PIB, le solde public à - 4,7 %, la dette à 111,5 %. Avec le mouvement des Gilets Jaunes, puis la crise Covid, les gouvernements ont dû renoncer aux politiques d’austérité budgétaire, accepter des hausses de dépenses publiques, et surtout accepter le creusement du déficit public.

Cependant, les gouvernements ont fait le choix de maintenir les objectifs de baisse des impôts et, pour la période 2023-2028, ils ont repris les objectifs de baisse des dépenses publiques (à 53,5 % en 2027). Il s’agit toujours de réduire les dépenses sociales (retraite, chômage, logement) et le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique. Par contre, l’essentiel de la baisse des impôts sur les plus riches et sur les entreprises a été réalisé.

Il n’y a pas eu de perdants à proprement parler dans le « quoi qu’il en coûte ». Comme tous les pays industrialisés, la France a subi une forte chute de son PIB en 2020, et le PIB de 2023 reste environ 3,5 points en dessous de son niveau tendanciel d’avant crise. Mais le choc aurait été plus fort sans la politique de soutien des salariés, des ménages et des entreprises. Le gouvernement l'évalue à 150 milliards de 2020 à 2022 (soit de 6 points de PIB), auquel il faut ajouter 8 points de PIB de déficits conjoncturels, les taux ayant provoqué une hausse de 15 points de PIB de la dette publique.

Il apparait aujourd’hui que les dépenses auraient pu être mieux ciblées tant pour les entreprises (dont les taux de marge ont augmenté en 2021) que pour les ménages (dont le taux d’épargne a fortement augmenté). Le gouvernement n’a pas voulu prendre ce risque. Disons que les perdants seront peut-être les générations futures, dans la mesure où la hausse de la dette réduit leurs marges de manœuvre budgétaire.

Le Covid a bien sûr sa part de responsabilité dans la hausse de 15 points de la dette publique entre 2019 et 2022. Mais cela ne doit pas masquer la responsabilité des gouvernements sous la présidence Macron. Ceux-ci se donnaient comme objectifs de réduire les dépenses publiques pour permettre la baisse des impôts. La réduction des dépenses publiques n’a guère été possible du fait de la crise Covid certes, mais aussi du fait que celles-ci, contrairement aux fantasmes des néolibéraux, sont utiles à la population (santé, éducation, police…).

Cela n’a pas empêché les gouvernements de mettre en place une baisse pérenne des impôts de 68 milliards par an (2,7 % du PIB). Soit 37 milliards pour les entreprises, avec la baisse jusqu’à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés (14 milliards), la baisse des impôts de production (19 milliards) et l’extension/suppression du CICE : (5 milliards). Et 31 milliards pour les ménages avec la création du Prélèvement forfaitaire unique (PFU), le remplacement de l’ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (soit 5 milliards au total) ; la baisse de l’impôt sur le revenu (5 milliards) ; la défiscalisation et la baisse des cotisations sociales sur les heures supplémentaires (4 milliards) ; la suppression de la taxe d’habitation (19 milliards) et de la redevance audio-visuelle (3 milliards).

Ces baisses d’impôts bénéficient d’abord aux plus aisés et aux entreprises (qui souvent leur appartiennent). Prises alors même que la France avait un important déficit public, elles s’expliquent à la fois par la croyance en la théorie de l’offre (ces baisses auraient dû s’autofinancer grâce à leur impact positif sur l’activité) et par la stratégie néolibérale (déséquilibrer les finances publiques pour imposer la baisse des dépenses publiques).

Elles ont dégradé la logique du système français : pourquoi faire financer des allocations chômage par la CSG ? Pourquoi taxer la fortune immobilière et pas la fortune financière ? Pourquoi faire échapper les revenus du capital à l’impôt progressif sur le revenu ? Pourquoi supprimer la taxe d’habitation, le lien fiscal entre les habitants et la municipalité ? Par contre, du fait de la révolte des Gilets jaunes, le gouvernement n’a pas réussi à engager la montée en puissance de la taxe carbone. Au total, partant d’un déficit de 3,4 % en 2017, les gouvernements Macron aboutissent à un déficit de l’ordre de 4,8 % en 2023.

Emmanuel Macron et ses gouvernements maintiennent deux tabous : pas de hausse des salaires affectant la compétitivité des entreprises françaises, pas de hausse des impôts ou des cotisations sociales. Les hausses de pouvoir d’achat des salariés ne peuvent donc passer que par des réductions de cotisations sociales ou par des primes. Cela s’est traduit par la suppression des cotisations chômage des salariés, l’exonération sociale et fiscale des heures supplémentaires, la hausse de la prime d’activité, la prime Macron exonérée de cotisations sociales et d’impôts.

L’objectif est avant tout de protéger les marges des entreprises. Les chèques donnés à telle ou telle catégorie de la population particulièrement touchée par la crise Covid ou l’inflation permettent de calmer les mécontentements les plus forts, sans prendre les mesures durables qui seraient nécessaires, comme la hausse du RSA, des prestations familiales ou des bourses estudiantines. En contrepartie des primes et chèques, les gouvernements acceptent le creusement du déficit public, qui servira demain de prétexte pour réduire les dépenses publiques et sociales.

 

La France a été particulièrement frappée par la désindustrialisation, qui touche cependant l’ensemble des pays avancés arrivés à un certain stade de développement. La France a souffert de la stratégie de ses grands groupes qui ont préféré délocaliser dans les pays à bas salaires, de la stratégie illusoire de « l’entreprise sans usine » (où la production aurait lieu en Asie et les activités de haute valeur ajoutée en Europe), et d’un certain mépris des classes dirigeantes pour l’industrie et les ouvriers.

Le déclin de l’industrie s’est révélé catastrophique tant au niveau social (pertes d’emplois bien rémunérés, disparition des possibilités d’intégration des jeunes issus des classes populaires) qu’au niveau économique (creusement du déficit commercial). La réindustrialisation est, heureusement, devenue une priorité de la politique économique depuis une dizaine d’années. On peut cependant regretter qu’il s’agisse souvent plus d’essayer d’attirer des investisseurs étrangers (par nature volatils) ou de favoriser des start-up innovantes (qui créent peu d’emplois), plutôt que de garantir la pérennité des entreprises existantes et de protéger leurs savoir-faire et leurs emplois.

L’emploi industriel avait culminé à 4,8 millions en 1976 ; il a chuté jusqu’à 3 millions en 2009. Il était de 2,7 millions au début du quinquennat de François Hollande ; il a continué à diminuer jusqu’à 2,6 millions en fin de mandat (-4,9 %). Il est remonté à 2,7 millions début 2023 (+5,4 %) ; l’amélioration est nette, même si la remontée est fragile. En base 100, fin 1998 (date de création de la zone euro), l’indice de production industrielle était à la mi-2018 à 101 pour la France contre 119 pour la zone euro. Début 2023, il est à 96 pour la France contre 121 pour la zone euro. Selon cet indicateur, l’industrie française n’a pas encore commencé à remonter la pente.

L’emploi peut sembler la grande réussite des gouvernements Macron. Mais en réalité, la reprise date du début de 2015. Sous François Hollande, l’emploi salarié avait progressé de 3,23 %. De la mi-2017 au premier trimestre 2023, il a augmenté de 7,45 % sous Macron (+1,86 million). Le paradoxe est que, durant la même période, la production n’a augmenté que de 5,1 %. La productivité par tête a donc diminué de 2,2 %, alors qu’elle aurait dû augmenter normalement de 4,6 % (0,8 % par an). Par rapport au comportement habituel, il y a donc 1,76 million d’emplois en trop.

Plusieurs explications ont été données de ce miracle : la hausse de l’apprentissage pour 0,3 million, la hausse de l’emploi non qualifié à faible productivité, le maintien en activité d’entreprises peu productives grâce aux aides Covid, la crainte des entreprises de ne pas trouver de salariés qualifiés qui les pousseraient à conserver des travailleurs excédentaires, les mesures de facilitation des licenciements de la loi Travail de 2018.

Le taux de chômage, au sens du BIT, se situait à 10,5 % en 2013 ; la baisse du taux de chômage a débuté en 2015, jusqu’à 9,5 % à la mi-2017. Sous la présidence Macron, il a baissé à 7,1 % au premier trimestre 2023. Le taux d’emploi, à 68,6 %, est au niveau le plus élevé depuis que l’Insee le mesure. En même temps, aux plus de 2 millions de chômeurs (au sens BIT), il faut ajouter près de 2 millions de personnes qui constituent le halo autour du chômage (des personnes découragées de chercher un emploi ou non immédiatement disponible) et 1,2 million de personnes en situation de sous-emploi, pour arriver à un taux de chômage généralisé de 14,7 %.

La France n’est pas encore au plein-emploi. En même temps, les difficultés de recrutement sont à un haut niveau, ce qui témoigne à la fois d’un niveau élevé d’embauches, des difficultés à trouver certaines personnes très qualifiées qui n’ont pas été formées dans la période récente, mais aussi d’offres d’emplois précaires et sous-payés que les travailleurs ne veulent pas occuper.

La priorité est d’engager la transition écologique, économique et sociale. La transition écologique suppose de lancer un vaste programme d’investissement écologique (transports collectifs, rénovation des logements, énergie non carbonée…), de mettre en place une taxe carbone et d’annoncer sa forte hausse pour orienter la consommation et les investissements, d’inciter à la sobriété (lutte contre la consommation ostentatoire, l’obsolescence accélérée, la publicité, etc.), ceci dans le cadre d’une planification écologique socialement débattue.

La transition sociale suppose d’augmenter fortement les minimas sociaux, de compenser les effets de la taxe carbone pour les ménages pauvres et les plus frappés, d’augmenter les salaires des « premiers de corvée » et des métiers du soin. En sens inverse, il faudrait rétablir l’ISF et la taxation à l’impôt sur le revenu des revenus du capital, de réduire la ponction de la finance, de limiter les dividendes et les salaires excessifs (au-delà de 7 SMIC).

La transition économique suppose de développer le secteur bancaire public, de réduire la domination de la finance, de repenser les objectifs des entreprises (satisfaire les besoins à moindre coût écologique plutôt que créer de la valeur pour les actionnaires) et leur gouvernance (en donnant des pouvoirs aux salariés et aux autres parties prenantes). Vaste programme.