Suppression du corps diplomatique : Macron invente la diplomatie d’intérimaires

Après l’enseignement, la santé, la police et la culture, la diplomatie fait les frais d’une gestion incompréhensible qui joue constamment contre les intérêts nationaux.
D’après un rapport du Sénat de juillet 2022, le Quai d’Orsay aurait perdu la moitié de ses effectifs en trente ans. Le réseau diplomatique national n’est plus que le troisième au monde derrière les États-Unis et la Chine, qui, elle, n’a pas cessé d’ouvrir de nouvelles ambassades en conformité avec ses ambitions – sans compter une stratégie axée également sur le soft power via les instituts Confucius et autres centres culturels homologués par Pékin.
Annoncée en avril 2022, la réforme du corps diplomatique envisagée par Emmanuel Macron prévoit, d’ici la fin 2023, la « mise en extinction » de deux corps historiques de la diplomatie et la création d'un nouveau corps de l'État. Une perspective loin d’être digérée malgré une grève de protestation inédite en juin 2022. Pour preuve, la naissance – à la veille de ce rendez-vous – d’une « Association française des diplomates de métier » avec pour présidents d’honneur des personnalités telles que Dominique de Villepin, Michel Barnier ou Maurice Gourdault-Montagne.
Le chef de l’exécutif s’est expliqué en précisant que « cette réforme [était] bonne pour le Quai d'Orsay », car elle permettrait « d'avoir une diplomatie plus agile, plus experte, plus forte [...], d'agréger le métier de diplomate avec des compétences extrêmement pointues dans les réseaux sociaux, les technologies, l'épidémiologie », et de créer des « task force utiles et mobiles ». Nul besoin de faire authentifier la prose – le style, c’est l’homme.
Une scène internationale avec de nouvelles (non-)règles
Pourtant, dans une configuration aussi périlleuse et instable que celle de la scène diplomatique actuelle, la France se doit de disposer d’un réseau de représentation extérieure étendu et, surtout, compétent. Une nouvelle diplomatie « à la carte » émerge avec des alliances opportunistes de courte durée. Désormais, ici ou là, l’ennemi peut devenir, pour un temps et sur un sujet donné, un partenaire. Pierre Hazan, Conseiller senior auprès du Centre pour le dialogue humanitaire à Genève, détaille :
« Ces accords purement transactionnels ne tiennent qu’aussi longtemps que les parties le jugent opportun. En dépit de la violence des combats, la Russie et l’Ukraine ont signé le 22 juillet 2022 un accord sur l’exportation des céréales, sous la médiation de la Turquie et de l’Organisation des Nations unies (ONU), et l’ont prolongé à deux reprises avant que le Kremlin choisisse de ne pas le reconduire. »
On pourrait également évoquer l’accord sur le tracé de la frontière maritime entre le Liban et Israël en octobre 2022, conclu avec le soutien états-unien. Le Liban et Israël ont miraculeusement, oserait-on dire, trouver un terrain d’entente alors que Beyrouth n’a jamais reconnu Tel-Aviv et que l’une des principales forces militaro-politiques libanaises, le Hezbollah, affirme toujours sa volonté de détruire Israël. Inversement, le fait que ce mouvement soit qualifié « d’organisation terroriste » par Washington et Tel-Aviv n’a pas davantage posé de problèmes à ces deux puissances. Bauman avait théorisé la « société liquide » ; la realpolitik nous offre la « diplomatie liquide ». Pourtant, plus la situation est grave et le pays vulnérable, et plus une diplomatie « hors sol » est à proscrire.
La nouvelle mission de la diplomatie prônée par le président Macron, à l’image du nouveau management de l’administration publique, renvoie à celle entretenue par les États-Unis. Et une fois encore, la France aspire à marcher dans les pas du géant transatlantique sans apprendre de ses erreurs. En 2003, l’autorité administrative états-unienne en Irak ne disposait à Bagdad que de 3 % d’agents connaissant l’arabe. Et son vade-mecum de démocratisation de l’Irak post-Saddam Hussein était inspiré des expériences de l’Allemagne et du Japon en 1945. On connaît la suite...
C’est la définition même du rôle et de la place du diplomate qui met en péril l’action extérieure sous couvert d’économies et de « flexibilité ». Au risque de rappeler une évidence, un poste diplomatique implique des activités variées et multiples dans un autre pays. Le diplomate vit à l’étranger pour voir vivre des étrangers. Il est supposé, durant son parcours professionnel, embrasser de nouvelles cultures, parler d’autres langues. Il n’est appelé à l’administration centrale que pour de courtes périodes, car les postes y sont peu nombreux. Il est vrai qu’un préfet, un inspecteur des finances ou un cadre du ministère de la Santé peuvent faire d’excellents diplomates, mais ce n’est ni leur vocation ni leur culture. On ne négocie pas avec des autorités étrangères comme on le fait avec des grévistes ou des manifestants. On ne conduit pas un consulat général ou une ambassade comme on gère un hôpital.
Un problème de formation des « cadres » de la nation ?
Il serait pertinent de lancer un débat public au sujet de la réforme en cours de la haute fonction publique, après la suppression de l’École nationale d’administration (ENA) et la création de l’Institut national du service public (INSP), le 1er janvier 2022. L’argument majeur pour la mise à sac de la formation des fonctionnaires d’élite est celui de la volonté de « démocratiser » leur recrutement – obsession anglo-saxonne pour la « diversité » en tête de plaidoyer. Mais l’ENA poursuivait initialement le même objectif. Et, malgré l’ouverture de concours et de voies d’accès multiples, il n’y a pas eu de diversification sociale du recrutement, au contraire. L’INSP fera-t-il mieux ?
Cette nouvelle institution créée par le rapprochement d’une quinzaine d’écoles de formation aurait pour but principal de « décloisonner » la fonction publique et donc de faciliter les passages d’un ministère à un autre. Du Slashing: Occupation simultanée par une personne de plusieurs emplois.slashing de haut niveau, en sorte. La prétendue nécessité de suppression du classement à l’issue du cursus est défendue au prétexte que l’ancienne logique de « placement » des fonctionnaires figeait leur carrière.
Or, en fonction de leur classement de sortie, les élèves faisaient le choix de leur carrière future et du corps dans lequel ils voulaient s’engager – une sorte d’autogestion qui misait sur les aspirations personnelles et garantissait une grande autonomie. Désormais, ce seront les administrations, les employeurs eux-mêmes, qui choisiront leurs cadres – comme avant-guerre. Ainsi, au nom de la « démocratisation », on reviendrait à un système de cooptation. Alain Rouquié, ancien ambassadeur, enfonce le clou :
« Cette réforme, loin d’éviter ce qui a fait l’impopularité des énarques, à savoir leur prolifération dans les entreprises publiques et privées, risque, au contraire, de favoriser le “pantouflage” chez des administrateurs généralistes. À l’exception des juridictions administratives et financières intouchables pour cause d’indépendance de ces magistratures, il ne restera plus qu’un seul corps d’administrateurs d’État interchangeables. »
Le corps des ministres plénipotentiaires comme celui des conseillers des affaires étrangères sont placés en extinction. Il n’y aura donc plus de carrière diplomatique. Certes la France n’est plus la « grande nation » du temps de l’Empire. Le déclassement est observable, mais il n’annonce pas fatalement un rabougrissement. Ce déclassement provient, notamment, de la « montée des autres » et du développement des pays aujourd’hui émergents, que la France souhaité et encouragé.
La France est-elle devenue, pour autant, une puissance moyenne, comme on le répète depuis les années 1970 ? Sixième ou septième économie, sur cent quatre-vingt-dix États, elle se trouve toujours dans le peloton de tête des pays riches. Un rappel toujours douloureux quand il en croise un autre : 10 millions de nos compatriotes (Outre-mer inclus) vivent sous le seuil de pauvreté.