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L’économie doit servir la société, pas l’inverse

image pour accompagner l’article, illustrant l’équilibre délicat entre la pensée dominante et les alternatives économiques.

Introduction : Une pensée économique verrouillée

L’enseignement de l’économie en France serait-il devenu une monoculture intellectuelle ? Nicolas Postel, professeur d’économie à l’Université de Lille et cofondateur de l’Association Française pour l’Économie Politique (AFEP), tire la sonnette d’alarme : le débat économique dans les universités et les grandes écoles est largement verrouillé.

La domination de l’approche néolibérale — érigée en "science économique" — occulte d’autres traditions théoriques pourtant essentielles. Conséquence ? Une pensée économique standardisée, dépolitisée, incapable de répondre aux défis sociaux et écologiques actuels.

1. Le mythe des "lois" économiques : un formatage dangereux

Selon Nicolas Postel, l’enseignement actuel de l’économie repose sur une vision erronée : celle des "lois naturelles" du marché.

  • L’idée principale : il existerait une science économique capable de démontrer des lois "universelles" comme celle de l’offre et de la demande.
  • Le problème : ces "lois" servent souvent à justifier des politiques de dérégulation et de flexibilisation du travail.
  • La conséquence : les questions économiques, traitées comme des vérités scientifiques, échappent au débat démocratique. Pourquoi discuter d’une loi "naturelle" après tout ?

Exemple frappant : Le ministre de l’Économie déclarant qu’un changement de gouvernement n’implique pas "le changement des lois de l’économie". Un aveu : les dogmes économiques seraient au-dessus de la volonté populaire.

Cette vision mécaniste, à coups de modèles abstraits et de mathématiques, déconnecte l’économie de la réalité sociale et écologique. Elle ignore que l’économie est avant tout une science sociale, liée aux comportements humains, à la politique et aux contextes culturels.

2. L’économisme : quand l’économie devient religion

Nicolas Postel pointe un phénomène central : l’économisme. C’est cette tendance à survaloriser l’économie comme seule clé de lecture du monde.

Deux points essentiels :

  1. L’économie domine les autres sciences sociales (sociologie, sciences politiques, géographie).
  2. Une pensée unique domine au sein même de l’économie, celle héritée de la théorie néoclassique.

Le résultat : des indicateurs comme le PIB, construits par des économistes orthodoxes, deviennent des totems incontestables. Pourtant, ces indicateurs sont largement critiqués pour leur incapacité à mesurer le bien-être humain ou la santé de la planète.

Cet économisme alimente un modèle de société qui sacralise la croissance économique, quitte à reculer l’âge de la retraite ou à franchir des seuils écologiques irréversibles.

3. Pluralisme contre pensée unique : l’urgence d’un autre enseignement

L’absence de diversité théorique dans l’enseignement économique est une catastrophe intellectuelle. Le pluralisme est la condition d’une pensée capable d’innover face aux défis de notre époque.

  • Les travaux de Karl Polanyi, par exemple, offrent des alternatives solides :
    • Replacer l’économie au service de la société, pas l’inverse.
    • Encourager des modèles économiques encastrés dans le social et l’écologique, comme les circuits courts ou la redistribution.
    • Se débarrasser du mythe du marché autorégulateur et du critère du profit comme seul indicateur d’efficacité.

« Lire Polanyi, c’est comprendre comment nous en sommes arrivés là, et surtout comment bifurquer. »

Malheureusement, ce pluralisme est freiné par la mondialisation académique, qui privilégie des publications dans des revues internationales orthodoxes. Cette mécanique exclut d’emblée les approches critiques et locales, appauvrissant la réflexion.

4. Les étudiants : entre résistance et découragement

Les étudiants, souvent passionnés par les sciences économiques et sociales au lycée, se retrouvent confrontés à une logique mathématique abstraite dans le supérieur. Nombre d’entre eux fuient l’économie théorique pour se rabattre sur la gestion ou d’autres disciplines.

Des mouvements étudiants, comme "Autisme Économie" ou PEPS, ont tenté de dénoncer ce formatage. Mais ces initiatives restent marginales face à l’inertie des institutions.

"L’économie ne doit pas tourner le dos au réel ni à ses acteurs. Elle doit s’interroger sur le terrain, au contact des sociétés et des crises concrètes."

5. Pourquoi le pluralisme est indispensable : des alternatives pour demain

Promouvoir la diversité dans l’enseignement de l’économie n’est pas un caprice intellectuel : c’est une nécessité pour imaginer des solutions innovantes face à l’effondrement écologique et social.

Des pistes concrètes existent :

  • Valoriser les approches interdisciplinaires (économie, sociologie, écologie).
  • Réformer les indicateurs économiques pour mesurer le bien-être et la durabilité.
  • Soutenir les alternatives locales : circuits courts, monnaies locales, biens communs.
  • Replacer l’économie dans le champ du débat politique.

"L’économie ne doit pas être un dogme. Elle doit redevenir un outil au service de projets collectifs émancipateurs."

Conclusion : Vers une économie démocratique et résiliente

Le pluralisme économique est la clé pour sortir de l’économisme dominant. En redonnant sa place à des penseurs comme Karl Polanyi et en ouvrant l’enseignement à d’autres traditions théoriques, nous pourrons construire une économie résiliente, solidaire et respectueuse des limites planétaires.

La balle est dans le camp des universitaires, des politiques… et des citoyens. Car, comme le rappelle Nicolas Postel, l’économie est d’abord une affaire politique. À nous de choisir quelle société elle servira.