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Couverture de magazine UneAutreVie.org montrant le visage de Donald Trump en gros plan, regard frontal, sur fond bleu flou. Le titre “Trump ou la réécriture permanente du réel” et le sous-titre “Quand le pouvoir devient un récit” sont affichés en blanc.

On peut lire les déclarations de Donald Trump comme des outrances de plus. On peut aussi choisir de les prendre au sérieux — non pour leur exactitude, mais pour ce qu’elles révèlent d’un pouvoir qui ne cherche plus seulement à agir, mais à imposer sa version du réel.
Baptiser une classe de navires de guerre à son nom. Revendiquer le Groenland “par nécessité stratégique”. Menacer le Venezuela d’un départ “sage” de son président. Réécrire une conversation avec Emmanuel Macron sur le prix des médicaments.
Pris séparément, ces épisodes ressemblent à des outrances. Pris ensemble, ils dessinent une logique cohérente : la politique étrangère comme récit autoritaire, personnalisé, spectaculaire.

Quand le récit devient l’acte politique

Trump ne gouverne pas seulement par décisions, mais par affirmations.
Dans son univers, dire, c’est déjà faire. Répéter, c’est installer. Mettre en scène, c’est dominer.

Peu importe que la “Trump Class USS Defiant” existe réellement, soit finançable, ou même souhaitable. Ce qui compte, c’est l’image :
– une Amérique gigantesque,
– une puissance militaire décomplexée,
– un chef qui baptise l’acier à son nom.

La frontière entre annonce, intention et réalité devient floue. Et cette confusion n’est pas un accident : elle est la stratégie.

La politique étrangère comme spectacle permanent

Trump applique à la diplomatie les règles du divertissement :

personnalisation extrême,

simplification brutale,

dramaturgie constante.

Le Groenland n’est pas un territoire avec une population, un statut, une histoire. Il devient un décor stratégique.
Le Venezuela n’est pas un pays souverain en crise, mais une scène où un dirigeant américain peut lancer une menace performative à Nicolás Maduro, sous les applaudissements d’un public ciblé.

La diplomatie cesse d’être un art de l’équilibre. Elle devient une suite d’épisodes, chacun conçu pour produire un choc médiatique.

Réécrire le réel pour gouverner l’attention

L’épisode de la conversation supposée avec Emmanuel Macron est révélateur.
Peu importe ce qui a réellement été dit. Ce qui compte, c’est que Trump impose sa version, avec aplomb, sans nuance, sans rectification.

Dans ce système, la vérité n’est plus ce qui est vérifiable, mais ce qui est assertif, répété et incarné.
Ce mécanisme n’est pas nouveau, mais Trump l’a poussé à un degré inédit : la réalité devient une matière malléable, retravaillée pour servir le récit du pouvoir.

Pourquoi cela fonctionne

Ce mode de gouvernance prospère sur plusieurs fragilités contemporaines :

un espace médiatique saturé, où la vitesse prime sur la vérification ;

des opinions publiques épuisées, qui confondent intensité et sincérité ;

des institutions internationales affaiblies, incapables d’imposer un récit alternatif audible.

Trump ne crée pas ces failles. Il les exploite avec un talent redoutable.

Un danger discret, mais durable

Le risque n’est pas seulement géopolitique.
Il est épistémologique.

Quand le pouvoir redéfinit en permanence le réel, le débat démocratique se transforme. Il ne porte plus sur des faits discutables, mais sur des récits concurrents. Et dans ce combat, celui qui parle le plus fort — ou le plus simplement — l’emporte souvent.

Ce glissement ne concerne pas que les États-Unis. Il contamine lentement les démocraties occidentales, fascinées par la force du récit et tentées d’en adopter les codes.

Conclusion : Trump n’est pas une anomalie, il est un révélateur

Trump n’est ni une parenthèse, ni une simple excentricité politique.
Il est le produit — et l’accélérateur — d’un monde où le pouvoir ne se contente plus d’agir, mais doit se raconter en permanence pour exister.

Le vrai sujet n’est donc pas de savoir si Trump exagère, ment ou provoque.
La vraie question est plus inconfortable :
sommes-nous encore capables, collectivement, de distinguer le récit du réel — et d’en tirer des choix politiques lucides ?


Trump, or the Permanent Rewriting of Reality

There are two ways to read the recent statements of Donald Trump.
The first is to dismiss them with a shrug: another provocation, another exaggeration, another outrageous claim.
The second is more unsettling: to take them seriously — not for their factual accuracy, but for what they reveal about a form of power that no longer seeks only to act, but to impose its own version of reality.

Naming a class of warships after himself. Claiming Greenland as a strategic necessity. Warning Venezuela’s president that it would be “wise” to step aside. Rewriting a conversation with the French president about drug prices.
Taken separately, these episodes look like excesses. Taken together, they reveal a coherent logic: foreign policy as a personalized, spectacular narrative.

When Narrative Becomes Political Action

Trump does not govern only through decisions, but through assertions.
In his political universe, saying something is already a form of doing. Repeating it installs it. Staging it dominates attention.

Whether the so-called “Trump Class” of warships is feasible, affordable, or even real is almost secondary. What matters is the image:
– an oversized America,
– unapologetic military power,
– a leader who engraves his name onto steel.

The boundary between announcement, intention, and reality becomes blurred. And this confusion is not accidental — it is the strategy.

Foreign Policy as Permanent Spectacle

Trump applies the logic of entertainment to diplomacy:
– extreme personalization,
– brutal simplification,
– constant dramaturgy.

Greenland ceases to be a territory with a population, a legal status, a history. It becomes a strategic prop.
Venezuela is no longer a sovereign country in crisis, but a stage on which threats can be performed for a domestic audience.

Diplomacy stops being an art of balance. It becomes a succession of episodes, each designed to produce a media shock.

Rewriting Reality to Govern Attention

The episode involving an alleged conversation with Emmanuel Macron is particularly revealing.
What matters is not what was actually said. What matters is that Trump imposes his version, confidently, without nuance, without correction.

In this system, truth is no longer what can be verified, but what is asserted, repeated, and embodied.
This mechanism is not new, but Trump has pushed it to an unprecedented degree: reality itself becomes malleable, reshaped to serve the narrative of power.

Why This Works

This style of governance thrives on several contemporary weaknesses:

– a saturated media environment where speed outruns verification;
– exhausted public opinion, often confusing intensity with sincerity;
– weakened international institutions, increasingly unable to impose a credible counter-narrative.

Trump did not create these fractures. He exploits them with remarkable skill.

A Subtle but Lasting Danger

The risk is not only geopolitical.
It is epistemological.

When power constantly redefines reality, democratic debate is transformed. It no longer revolves around disputable facts, but around competing narratives. And in that struggle, the loudest or simplest story often prevails.

This drift does not concern the United States alone. It slowly contaminates Western democracies, tempted by the effectiveness of narrative power and increasingly inclined to adopt its codes.

Conclusion: Trump Is Not an Anomaly — He Is a Revealer

Trump is neither a parenthesis nor a mere political eccentricity.
He is both the product and the accelerator of a world in which power no longer acts silently, but must constantly narrate itself in order to exist.

The real question, then, is not whether Trump exaggerates, lies, or provokes.
The more uncomfortable question is this:

Are we still collectively capable of distinguishing between narrative and reality — and of making lucid political choices on that basis?