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dessin satirique

Dans le grand théâtre budgétaire de l’hiver, chacun joue son rôle : les sénateurs bricolent des mesures parfois audacieuses, parfois acrobatiques ; le gouvernement tente de sauver un budget menacé d’effondrement politique ; et les Français, eux, regardent passer les réformes comme on regarde un train en retard : avec résignation et un vague espoir que quelqu’un finira par reprendre le contrôle.

La première partie du projet de loi de finances 2026, celle qui concerne les recettes, vient de subir une série de transformations explosives au Sénat. Et derrière les amendements techniques, c’est un véritable match politique qui se joue, avec en toile de fond une économie en perte de souffle et un pouvoir fragilisé.

1. Logement : les sénateurs inventent (presque) un “bouclier fiscal du bailleur”

Dans un pays qui manque cruellement de logements — mais pas d’idées approximatives — le Sénat a adopté un nouveau statut du bailleur privé.

Le principe ?
Un amortissement fiscal généreux :

3,5 % par an pour du logement intermédiaire neuf

4,5 % pour du social

5,5 % pour du très social
Jusqu’à 80 % du prix du bien, et dans la limite de 8000 € par an.

L’État freine des quatre fers : dans la version sénatoriale initiale, la facture aurait explosé entre 7 et 10 milliards. Le compromis tombe finalement à 1,2 milliard d’ici 2028.

Traduction grinçante : on est passé du Jacuzzi fiscal pour investisseurs à une baignoire tiède validée par Bercy.

Les sénateurs ont aussi prolongé :

Les exonérations de plus-values en cas de cession pour construire du logement social

Les abattements pour accélérer la mise sur le marché de terrains et immeubles

Et même les exonérations de taxe foncière pour le logement locatif social — contre l’avis du gouvernement.

Bref : le Sénat accuse l’exécutif d’inaction, et tente un “plan logement” à la petite semaine.

2. Fiscalité automobile : fin du harcèlement fiscal ou cadeau au SUV ?

Sur les véhicules, les sénateurs n’ont pas résisté à leur éternelle tentation : protéger le conducteur, de préférence s’il roule dans quelque chose de lourd et qui ronronne.

Ainsi, contre l’avis du gouvernement :

Maintien du suramortissement pour les véhicules lourds "faiblement émetteurs".

Maintien du plafonnement malus CO₂ + malus poids, que Bercy voulait supprimer.

Le rapporteur HUSSON résume : “L’approche gouvernementale est inutilement punitive.”

Traduction : il y a encore des parlementaires pour défendre la voiture “liberté”.

3. Transports publics, transport maritime : bras de fer tous azimuts

✔️ Ile-de-France Mobilités : la surtaxe sur les carburants, supprimée par le gouvernement, est restaurée par les sénateurs.

✔️ Aérien : le Sénat veut

Exonérer de taxe de solidarité les vols “publics” de moins de 150 000 passagers/an

Créer une nouvelle classe d’aéroports pour alléger leurs obligations

Favoriser le renouvellement des flottes via un suramortissement

Le gouvernement dit non, mais le Sénat avance.

✔️ Maritime : le Sénat adopte une taxe écologique sur les croisières :
15 € par passager, 75 M€/an de recettes.
L’exécutif vote contre, certains élus de la majorité aussi, mais la mesure passe d’une courte tête.

4. Taxe “petits colis” : les sénateurs frappent fort (plus fort que Bruxelles)

Le gouvernement voulait 2 € par colis importé hors UE.
Le Sénat passe la taxe à 5 €.

“Il faut un électrochoc”, résume la sénatrice Renaud-Garabedian.
Comprendre : Amazon, Temu & co peuvent préparer leurs antidouleurs.

Bercy grince, Bruxelles aussi.

5. Déchets : une réforme rétablie, mais allégée

Le gouvernement voulait :

Rendre l’enfouissement et l’incinération plus coûteux

Simplifier la TVA déchets à 5,5 %

Les députés avaient tout supprimé.
Le Sénat rétablit… mais en “adouci”.

Pour une fois, on peut saluer une logique : moins d’enfouissement, plus de recyclage, mais sans faire exploser les budgets locaux.

6. Lecornu tente d’éviter le naufrage politique

Au même moment, le Premier ministre court partout pour empêcher l’échec du PLFSS.
Une majorité introuvable, des socialistes qui hésitent, des LR qui font la moue, des écologistes qui n’y croient plus.

Si le gouvernement ne trouve pas un compromis :
➡️ Blocage institutionnel
➡️ Utilisation du 49.3 politiquement suicidaire
➡️ Chaos budgétaire

Lecornu écrit aux entreprises pour leur dire qu’il “mesure leurs inquiétudes”.
On mesure surtout la sienne.

7. Une France budgétaire qui se recompose à vue d’œil

Au fond, ce qui ressort, c’est ceci :

Le Sénat est devenu un législateur parallèle, réécrivant la fiscalité pièce par pièce.

Le gouvernement tente de garder la main, mais la majorité relative l’étouffe.

Les oppositions pratiquent le vote à géométrie variable, en mode "tout sauf le gouvernement".

Et les grandes lignes fiscales (logement, énergie, transport, déchets) avancent selon une logique de couloirs plus qu'une stratégie nationale.

Un pays qui se débat avec son budget, c’est un pays qui doute.
Et aujourd’hui, la France doute beaucoup.

English Version

Budget 2026: The Senate Rewrites France’s Fiscal Landscape — One Amendment at a Time
 

In France’s winter budget drama, everyone plays their part. Senators rewrite the tax code like weekend mechanics adjusting a shaky engine; the government tries to prevent the whole structure from collapsing; and ordinary citizens watch the reforms pass by with the same weary patience they reserve for delayed trains.

The first part of the 2026 Finance Bill, dedicated to revenues, has just undergone a barrage of amendments in the Senate. Behind the technical jargon, a political showdown is unfolding — with a struggling economy and a weakened executive in the background.

1. Housing: Senators Create a Generous New Status for Private Landlords

In a country starved for rental housing, the Senate approved a new tax-friendly status for private landlords.

The idea: generous amortisation deductions

  • 3.5% per year for intermediate housing
  • 4.5% for social housing
  • 5.5% for very social housing
    Up to 80% of the property value, capped at €8,000 per year.

The government pushed back — the original Senate plan would have cost €7–10 billion. The compromise now lands at €1.2 billion by 2028.

In short: the Senate proposed a fiscal hot tub; Bercy replaced it with lukewarm bathwater.

The Senate also extended

  • Capital gains exemptions for sales destined for social housing
  • Abatements encouraging land release for construction
  • And even tax exemptions for social rental housing — against government advice.

A patchwork “housing plan”, improvised in real time.

2. Vehicle Taxes: Relief for Drivers or a Gift to SUV Lovers?

On vehicle taxation, senators again sided with motorists — particularly those driving something heavy and noisy.

Against the government’s position, they voted to:

  • Keep the extra depreciation for heavy low-emission vehicles
  • Maintain the cap on combined CO₂ + weight penalties, which Bercy wanted to remove

Rapporteur Jean-François Husson concluded the government’s plan was “excessively punitive”.

Interpretation: the Senate remains attached to the myth of “automotive freedom”.

3. Public Transport, Aviation and Maritime: A Wave of Amendments

✔️ Ile-de-France Mobilités
The regional fuel surtax — scrapped by the government — restored by senators.

✔️ Aviation
The Senate voted to:

  • Exempt certain small public-service flights from the solidarity tax
  • Create a new category of small airports with reduced obligations
  • Introduce extra depreciation to encourage fleet renewal

All rejected by the government — but approved nonetheless.

✔️ Cruise Tax
A new €15 per passenger ecological tax on international cruise ships, expected to generate €75 million/year, passed by a razor-thin majority.

Once again: executive against Senate, Senate wins.

4. “Small Parcel Tax”: The Senate Goes Harder Than Brussels

The government initially wanted a €2 tax on non-EU parcels under €150.
The Senate raised it to €5.

“A political shock,” said Senator Renaud-Garabedian.
Amazon, Temu and Shein might indeed feel it.

5. Waste Taxation: Reform Reinstated (but Softened)

Deputies had previously scrapped the entire reform of waste taxation.
The Senate reinstated it, but in a watered-down version.

  • Higher landfill/incineration taxes
  • Reduced VAT (5.5%) on waste services
  • A gentler rise in the TGAP environmental tax

For once: a reform that is at least coherent.

6. Lecornu’s Race Against Time

Meanwhile, Prime Minister Lecornu is desperately trying to secure votes for the Social Security Budget.
A majority is nowhere to be found.
The PS hesitates.
The right is reluctant.
Greens lean toward rejection.
The RN and LFI are firmly opposed.

If no deal emerges:
➡️ Institutional deadlock
➡️ Risk of a politically toxic 49.3
➡️ Budget chaos

The Prime Minister wrote to businesses: “I hear your concerns.”
He might mainly be hearing his own.

7. A Country Rewriting Its Budget Model on the Fly

What emerges from the day’s Bulletin Quotidien is clear:

  • The Senate has become a parallel legislator, redrafting the fiscal architecture.
  • The government struggles to maintain control.
  • Political blocs shift unpredictably.
  • Housing, environment and transport policies advance without overarching strategy.

A country wrestling with its finances is a country that doubts — and today, France doubts deeply.