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France, Algérie et Sahara occidental : une histoire coloniale aux conséquences géopolitiques

drapeaux Algérien et Français

L’Algérie et la France entretiennent une relation compliquée, marquée par l’histoire coloniale, une guerre d’indépendance féroce et des tensions diplomatiques récurrentes. L’une des ramifications de ce passé trouble se retrouve aujourd’hui dans la position de la France et de l’Algérie sur le Sahara occidental. Pour bien comprendre cet enjeu, il faut d’abord remonter à la genèse de la colonisation française de l’Algérie et la comparer avec la situation administrative du Maroc sous protectorat.

I. Pourquoi et comment l’Algérie est-elle devenue française ?

L’histoire commence en 1830, lorsqu’une expédition militaire française prend Alger. Officiellement, il s’agit de punir le dey d’Alger après une dispute sur des dettes impayées, mais la France de Charles X y voit surtout une occasion de détourner l’attention des crises politiques internes.

L’occupation devient rapidement une colonisation de peuplement. Contrairement à d’autres territoires sous domination française, l’Algérie est intégrée directement au territoire métropolitain en 1848 et divisée en trois départements (Alger, Oran, Constantine). C’est une différence majeure avec le Maroc et la Tunisie, qui resteront sous protectorat (c'est-à-dire sous souveraineté théorique locale avec un contrôle français).

La colonisation est brutale : expropriations massives, répressions sanglantes des révoltes locales et implantation d’Européens (Français, mais aussi Espagnols, Italiens, Maltais). Le code de l’indigénat, instauré en 1881, maintient les Algériens musulmans dans un statut inférieur aux colons.

II. Une différence de statut avec le Maroc

Si l’Algérie devient une partie intégrante de la France, ce n’est pas le cas du Maroc. En 1912, la France impose un protectorat sur le Maroc (traité de Fès). La monarchie chérifienne est maintenue, avec le sultan en place, mais sous la tutelle du résident général français.

Cette différence administrative a des conséquences majeures. En Algérie, l’objectif colonial est de transformer le territoire en une extension de la France, avec une forte présence européenne. Au Maroc, il s’agit d’un contrôle indirect, la France gouvernant par l’intermédiaire des élites locales.

III. Une décolonisation sanglante pour l’Algérie, plus diplomatique pour le Maroc

L’indépendance du Maroc se fait relativement pacifiquement en 1956, après des négociations avec la France. Le sultan Mohammed V, habile stratège, obtient la fin du protectorat sans guerre ouverte.

L’Algérie, en revanche, connaît une guerre d’indépendance (1954-1962) d’une violence inouïe. Le FLN (Front de Libération Nationale) mène une guérilla contre l’armée française, qui répond par une répression brutale : tortures, exécutions sommaires, villages rasés. La guerre se termine avec les Accords d'Évian en 1962, mais laisse des blessures profondes.

IV. Les tensions actuelles et les déclarations de Macron : une relation sous haute tension

Les relations entre la France et l’Algérie oscillent depuis des décennies entre réconciliations symboliques et crises diplomatiques. Si des gestes d’apaisement ont parfois été tentés, ils sont souvent suivis de nouvelles polémiques, preuve que l’héritage colonial continue de peser sur les deux pays.

1. Les propos de Macron qui ont mis le feu aux poudres

En octobre 2021, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée des descendants de figures de la guerre d’Algérie et lâche une bombe diplomatique. Il affirme que l’Algérie, en tant que nation, n’existait pas avant la colonisation française et accuse le pouvoir algérien d’entretenir une « rente mémorielle » autour du conflit pour légitimer son autorité.

Ces déclarations déclenchent une indignation immédiate à Alger. Le président Abdelmadjid Tebboune rappelle son ambassadeur à Paris et interdit temporairement le survol de son territoire aux avions militaires français, qui utilisent normalement l’espace aérien algérien pour se rendre au Sahel. Une rupture diplomatique d’une rare intensité, qui illustre à quel point le passé colonial reste une plaie ouverte.

2. Pourquoi ces propos ont-ils autant choqué en Algérie ?

D’un point de vue historique, la déclaration de Macron est perçue comme une négation de l’histoire algérienne précoloniale. L’Algérie existait bel et bien avant 1830, sous différentes formes : royaumes berbères, régence ottomane, émirats… Dire que la France a « créé » l’Algérie revient à minimiser l’identité nationale algérienne, ce qui est perçu comme une provocation majeure.

Mais au-delà de l’aspect historique, c’est surtout l’accusation de « rente mémorielle » qui agace Alger. Pour le pouvoir algérien, la guerre d’indépendance est un pilier fondamental du récit national. Remettre cela en cause, c’est toucher à un tabou. L’Algérie reproche régulièrement à la France son manque de repentance sur les crimes coloniaux, et toute tentative de minimisation de cette période est immédiatement perçue comme une attaque.

3. Une relation marquée par des gestes d’apaisement… mais sans réconciliation durable

Ce n’est pas la première fois que Macron tente de jouer la carte de l’apaisement tout en provoquant de nouvelles crispations.

  • En 2017, il qualifie la colonisation de « crime contre l’humanité », suscitant l’enthousiasme en Algérie et la fureur d’une partie de la droite française.
  • En 2018, il reconnaît la responsabilité de la France dans la disparition du militant Maurice Audin, torturé et exécuté par l’armée française.
  • En 2020, il commande un rapport à l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, qui recommande des gestes symboliques mais exclut toute repentance officielle.

Malgré ces efforts, Alger considère toujours que Paris n’en fait pas assez. Le pouvoir algérien réclame des excuses officielles et des réparations, ce que la France refuse.

4. Le Sahara occidental, un nouveau terrain de friction

Les tensions ne se limitent pas à la mémoire coloniale. Un autre sujet brûlant est venu envenimer les relations franco-algériennes ces dernières années : la question du Sahara occidental.

Ce territoire, revendiqué par le Maroc mais aussi par le Front Polisario (soutenu par l’Algérie), est au cœur d’un bras de fer diplomatique entre Alger et Rabat. La France soutient traditionnellement la position marocaine, ce qui agace l’Algérie.

En 2023, Paris renforce son appui au Maroc en soutenant l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine. Une position alignée sur celle des États-Unis (depuis la reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté marocaine sur la région en 2020). L’Algérie y voit une trahison et accuse la France d’alimenter les tensions régionales.

5. Une relation condamnée à rester conflictuelle ?

Malgré les tensions, la France et l’Algérie restent interdépendantes sur plusieurs dossiers :

  • Lutte contre le terrorisme au Sahel, où la coopération sécuritaire est essentielle.
  • Flux migratoires, avec une forte diaspora algérienne en France et des enjeux liés aux visas.
  • Énergie, l’Algérie étant un fournisseur clé de gaz pour l’Europe.

Cependant, le contentieux mémoriel et les divergences géopolitiques semblent condamner cette relation à une instabilité chronique. À chaque tentative de rapprochement succède une nouvelle crise, preuve que la France et l’Algérie peinent encore à solder les comptes du passé.