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Inflation 2023 : quand les plus pauvres trinquent et les plus riches encaissent

graphique inflation vs salaires 2023

En France, l’inflation de 2023 n’a pas seulement vidé les porte-monnaie : elle a aussi creusé les inégalités. Tandis que les plus modestes voient leur pouvoir d’achat amputé par la hausse des prix, les plus aisés, eux, bénéficient d’une double rente : salariale et patrimoniale. Ce déséquilibre, bien documenté par la dernière édition du Portrait social de la France publié par l’Insee, confirme une réalité glaçante : l’inflation, loin d’être un fléau universel, est un impôt déguisé sur les plus pauvres.

Une inflation forte, une aide publique en recul

Après un pic à 5,3 % en 2022, l’inflation est restée élevée en 2023 (4,9 % en moyenne). Pourtant, contrairement à l’année précédente, les dispositifs exceptionnels de soutien – indemnité inflation, chèque énergie renforcé, prime de rentrée – n’ont pas été reconduits. Résultat : pour une large part de la population, notamment les 60 % les plus modestes, la hausse des prix n’a pas été compensée.

Selon l’Insee, cette inflation s’est traduite par un surcoût moyen de 1 200 € par personne, mais avec de très fortes disparités : environ 700 € pour les plus pauvres, jusqu’à 2 200 € pour les plus riches. Une différence trompeuse : car si les plus aisés ont des ressources pour absorber ce choc, les autres non. Rapporté à leur revenu annuel, le choc inflationniste est deux fois plus violent pour les 20 % les plus modestes que pour les 20 % les plus riches.

Une inflation injuste : quand les pauvres paient plus pour consommer moins

Trois postes de dépense concentrent les deux tiers du surcoût : alimentation, logement, transport. Or ces dépenses pèsent bien plus lourd dans le budget des ménages modestes que dans celui des plus fortunés. À titre d’exemple :

Le prix du jambon distributeur a bondi de 40 %, contre 20 % pour les grandes marques.

Le prix des pâtes premiers prix a grimpé de 30 %, contre 20 % pour Barilla ou Panzani.

Les hausses dans la santé sont sous-estimées, car l’indice des prix ne prend pas en compte les baisses de remboursement de la Sécu.

Sans marge de manœuvre, les ménages pauvres ne peuvent pas arbitrer, se reporter vers d’autres gammes, ou “faire le dos rond”. Pour eux, tout est déjà minimum.

Salaires en retard, profits en avance

Contrairement aux déclarations de la Banque de France, aucune spirale prix-salaires ne s’est manifestée. Les hausses salariales ont été bien en deçà de l’inflation pour 60 % des ménages. Le premier décile n’a vu ses revenus progresser que de moins d’un tiers de la hausse des prix, quand le dernier décile bénéficiait de revenus en hausse d’un tiers de plus que l’inflation.

Et ce n’est pas tout : les 20 % les plus riches ont profité d’un effet de levier patrimonial. Grâce à la hausse des marchés financiers et des taux d’intérêt, leur patrimoine – massivement investi dans les actions et assurances-vie – a généré plus de 1 200 € en moyenne. Le reste de la population ? 250 €, au mieux. Les petits épargnants, eux, ont vu leur Livret A plafonner à 3 %, très en dessous de l’inflation.

Traduction concrète : une épargne de 1 000 € en 2022 ne permettait plus, fin 2023, d’acheter un bien qui coûtait 1 100 €.

Les revenus du capital en pleine forme

Depuis 2017, les revenus du patrimoine perçus par les ménages ont progressé de 25 % (corrigé de l’inflation), selon les économistes Éric Berr, Sylvain Billot et Jonathan Marie. Les dividendes ont bondi de 80 %. Pour 2023, l’Insee calcule un gain net de pouvoir d’achat pour les 20 % les plus riches de plusieurs centaines d’euros après inflation. À l’inverse, les 20 % les plus pauvres ont perdu plus de 400 €.

Quand la politique creuse l’injustice

Le coup de grâce vient de l’État. En 2023, les mesures de soutien ont fondu pour les plus modestes, alors que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales s’est achevée… au bénéfice des plus riches. En moyenne, ces derniers ont gagné 460 € de revenu disponible de plus.

Selon l’Insee :

Les 20 % les plus pauvres ont perdu en moyenne 300 € de revenus, auxquels s’ajoutent les 700 € de dépenses supplémentaires.

Cela représente une perte nette de 10 % de leur niveau de vie annuel.

À l’autre extrémité, les ménages aisés voient leur niveau de vie progresser, en cumulé, grâce à la fiscalité et aux gains patrimoniaux.

La boucle infernale des inégalités

L’effet cumulé de l’inflation, de la stagnation des salaires et de l’orientation des politiques publiques concentre encore davantage richesses et patrimoines. Et comme si cela ne suffisait pas, l’héritage vient figer les inégalités sociales.

En France, selon une étude croisée de l’Université d’Uppsala, de la Paris School of Economics et de Stockholm, la part des fortunes héritées dans le patrimoine total a doublé en vingt ans. Elle revient à des niveaux comparables à ceux de l’entre-deux-guerres.

Une politique délibérée ?

Les discours sur la “nécessaire désindexation” des salaires sonnent comme un écran de fumée idéologique. Contrairement à la Banque de France, la Banque nationale de Belgique et plusieurs autres instituts européens ont démontré que l’indexation salariale avait eu un impact négligeable sur l’inflation.

Ce qui a freiné l’inflation en France, ce n’est pas une “politique éclairée”, mais la perte de pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires. En d’autres termes : le sacrifice des uns pour protéger les marges des autres.


🧾 Conclusion
L’inflation de 2023 en France n’a rien eu d’une fatalité partagée. Elle a été, en grande partie, fabriquée par des choix politiques et économiques qui ont protégé les détenteurs de capital au détriment de la majorité. Une taxe invisible mais efficace, dont les recettes vont toujours vers les mêmes poches. Alors que les bruits de bottes montent en Europe et que l’effort de guerre se profile, une question s’impose : qui paiera l’addition cette fois ?