Le "choc des savoirs" ou l'échec annoncé de l'Éducation nationale
Le 7 juillet dernier, lors du second tour des élections législatives, Nicole Belloubet, alors ministre de l'Éducation nationale, posait déjà les jalons d'un avenir incertain : « Il est possible que je sois encore en poste, en tout cas je me prépare à cette rentrée scolaire, car l’Éducation nationale est un vaisseau du temps long. » Un vaisseau, certes, mais qui ressemble de plus en plus à une barque trouée, malmenée par quatre ministres successifs en à peine deux ans. Belloubet, toujours aux commandes début septembre, devrait d'ailleurs bientôt céder la place à un nouveau ministre sous le gouvernement Barnier. Au niveau rhétorique, elle repassera plus tard.
Cet été, pendant que la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron laissait l'exécutif sur un siège éjectable, les ministres n'ont pas chômé. À l'ombre des Jeux olympiques, quelques décisions majeures ont été prises.
Caroline Pascale : continuité ou stagnation ?
Le 17 juillet dernier, le Conseil des ministres nomme Caroline Pascale à la tête de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco). Elle est chargée d'élaborer la politique éducative pour 12 millions de jeunes Français. Réputée pour sa loyauté envers Jean-Michel Blanquer et ses racines « sarkozystes », Pascale incarne la continuité des réformes du « retour de l’autorité » et de la revalorisation des « savoirs fondamentaux » voulues par Emmanuel Macron. Mais derrière les slogans, la réalité semble nettement moins reluisante. En témoignent les souvenirs amers de l'assassinat de Samuel Paty et les piètres résultats des élèves en lecture et en mathématiques...
Le "choc des savoirs" : un coup marketing sans éclat
La rentrée 2024 marquera la mise en œuvre du fameux « choc des savoirs », annoncé en grande pompe par Gabriel Attal en décembre 2023, après la publication des résultats désastreux de l'enquête Pisa. En substance, ce projet prévoit la création de « groupes de niveau » pour les élèves en primaire et au collège. Nicole Belloubet, visiblement mal à l’aise avec l’idée, préfère qualifier ces regroupements de simples « groupes », comme si la sémantique pouvait masquer les vérités gênantes.
Sous couvert d'une logique de différenciation, ce système de tri social regroupe les élèves selon leur niveau en mathématiques et en français, basé sur des évaluations standardisées. Mais ces tests, loin de pointer les difficultés spécifiques des élèves, classent ceux-ci en fonction de faiblesses généralisées, sans distinction réelle. Prenons un exemple concret : un élève en difficulté en géométrie pourrait se retrouver classé comme « mauvais » en mathématiques, sans que ses problèmes spécifiques (difficulté à visualiser dans l'espace, troubles de l’apprentissage, etc.) soient identifiés. Ce système, rigide et standardisé, risque de figer les élèves dans des catégories définitives : « forts », « moyens » ou « faibles ».
Ce tri repose sur une idée simpliste : que deux élèves ayant les mêmes notes en mathématiques le sont pour les mêmes raisons. En réalité, leurs obstacles peuvent être très différents : des conditions de vie précaires, des responsabilités familiales, des besoins éducatifs particuliers… Ces nuances sont ignorées au profit d'une logique de classement qui, in fine, pourrait condamner les élèves les plus fragiles à rester en bas de l'échelle.
Une école pour techniciens, pas pour penseurs
Le véritable objectif du « choc des savoirs » semble bien éloigné de la promesse d’élever le niveau global des élèves. Il s’agit plutôt de former une armée de techniciens obéissants, aptes à appliquer des consignes sans jamais les remettre en question. Une société où les grammairiens et les latinistes n'ont plus leur place, où seuls les savoirs techniques et scientifiques sont valorisés.
Quant aux résultats Pisa, supposés être le moteur de cette réforme, ils ne mesurent que des compétences standardisées. À y regarder de plus près, les champions de ce classement sont Singapour, Macao, Taïwan, et Hong Kong – des cités-États où l'intellectualisme laisse souvent place à une culture de l'efficacité et de la productivité. Un modèle éducatif qui semble inspirer Macron et son exécutif.
Une école sans professeurs
Un autre problème majeur se profile à l’horizon : la pénurie d’enseignants. Le ministère de l'Éducation, qui absorbe plus de 10 % du budget de l'État, fait face à des coupes drastiques imposées par Bercy. En février, Bruno Le Maire a demandé une réduction de 700 millions d'euros dans le cadre d'un plan d'austérité de 10 milliards, et depuis, 5 milliards supplémentaires se sont ajoutés à l'équation. Dans ce contexte, le « choc des savoirs » apparaît comme une réforme cosmétique, incapable de pallier la crise des vocations qui touche l’Éducation nationale.
Malgré une légère amélioration au niveau des concours, des milliers de postes restent vacants, notamment dans des académies comme Créteil, Versailles, ou encore la Guyane et Mayotte. Ironiquement, ce sont dans ces mêmes zones qu'on peut anticiper les futurs mauvais résultats scolaires.
Conclusion : vers une école à deux vitesses
Le « choc des savoirs » risque donc d’aggraver les inégalités déjà béantes au sein du système éducatif français. Les groupes de niveau, couplés aux restrictions budgétaires et à la pénurie de professeurs, annoncent une école à deux vitesses où les plus fragiles risquent d'être laissés pour compte. Et pendant ce temps, l'enseignement privé, loin de ces réformes, continue à tirer son épingle du jeu.
Face à cette situation, on peut légitimement se demander si le gouvernement Macron vise vraiment à éduquer la jeunesse française, ou plutôt à la formater pour une société technocratique, dépolitisée et docile.