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Le mensonge de la paresse

 illustration sobre et symbolique .Elle met en scène visuellement le décalage entre l’idée reçue de paresse et la réalité économique, tout en conservant une esthétique épurée idéale pour la publication web.

Depuis des décennies, éditorialistes complaisants et « experts » de salon martèlent que « les Français travaillent moins que leurs voisins ». Qu’il s’agisse du Premier ministre François Bayrou, de ministres successifs ou d’éditocrates alignés, ce refrain repose sur un postulat idéologique, déconnecté des réalités du terrain.

Un mensonge industriel

Macron 2021 : lors du lancement du plan « France 2030 », le chef de l’État lâche : « Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres… »

Rexecode (think-tank proche du Medef) annonce des Français à 1 673 h/an en 2023, contre 1 778 h/an en Allemagne (Insee) – sans préciser que ces données incluent congés, RTT et temps partiel, ni que les méthodes de calcul diffèrent d’un pays à l’autre.

Or, selon une étude DARES-Insee (2018), le temps de travail effectif hebdomadaire moyen en France est de 36,3 h contre 34,8 h en Allemagne. L’OCDE souligne l’incomparabilité des chiffres annuels dès lors qu’on intègre congés et chômeurs récents.

Productivité et croissance : les vrais critères

Comparer les heures ne suffit pas : il faut rapporter le temps de travail à la productivité hourly.

En 2022, l’Organisation internationale du Travail plaçait la France au 13ᵉ rang mondial pour la productivité à l’heure travaillée, devant l’Allemagne et les États-Unis.

À productivité équivalente, le besoin de rallonger le temps de travail relève davantage d’un dogme pro-croissance que d’une nécessité économique.

Les biais idéologiques derrière l’injonction « travaillez plus »

Les solutions préconisées sont toujours les mêmes :

Dérégulation : simplification du code du travail, affaiblissement des syndicats.

Précarisation : multiplication des CDD, affaiblissement du CDI, encouragement de l’auto-entrepreneuriat.

Allongement du temps de travail : suppression de congés, travail dominical, réforme des retraites.

En 2017, Christophe Barbier proposait carrément de supprimer une semaine de congés payés ; en 2014, Pierre Gattaz, alors président du Medef, défendait un « SMIC intermédiaire ». Derrière ces propositions, c’est la rationalité financière qui prime : faire toujours plus pour augmenter les profits, sans jamais interroger la qualité de vie ni la soutenabilité sociale.

Le travail, entre dignité et souffrance

Réduire tout débat à la quantité d’heures passées au bureau ou à l’usine évacue la réalité du travail concret :

Risques professionnels : en 2023, on a dénombré 555 803 accidents du travail et 759 décès en France (CNAM).

Pénibilité : troubles musculo-squelettiques, burn-out, troussages hiérarchiques…

Formation et transmission : l’investissement en capital humain (apprentissage, reconversion) est généralement oublié des éditorialistes.

Or, c’est dans ces questions de qualité, de sens et de conditions de travail que se joue l’avenir économique et social.

Le choix d’une autre vision du travail

Plutôt que de céder au vieil impératif moral du « travaillez plus », on peut :

Encourager des modèles de production durable, où la transition écologique et la réduction de la dose-travail vont de pair.

Réévaluer la place du temps libre, gage de santé mentale, d’engagement citoyen et d’innovation culturelle.

Repenser la répartition des gains de productivité : partage du profit, réduction collective du temps de travail sans perte de salaire, comme le prônait déjà John Maynard Keynes (15 h/semaine en 1930).

Cette remise en perspective montre que l’invocation de la « paresse » française sert avant tout des intérêts libéraux, qui ne s’appuient ni sur des faits rigoureux ni sur une vision humaine du travail.