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Le rôle opaque de la Chine dans le chaos au Myanmar

Globe terrestre avec la position du Myanmar

Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, le Myanmar, autrefois appelé Birmanie, est plongé dans une guerre civile interminable. Alors que le général Min Aung Hlaing a renversé le gouvernement démocratiquement élu d’Aung San Suu Kyi, la communauté internationale a unanimement condamné cette dérive autoritaire. Pourtant, deux puissances émergent comme des exceptions notables : la Russie, pourvoyeuse d’armements, et la Chine, dont l’ambiguïté diplomatique dissimule des interventions bien plus profondes qu’un simple principe de « non-ingérence ».


Mong La : la zone grise où tout est permis

Aux confins du nord-est du Myanmar, la ville-frontière de Mong La incarne le paradoxe d’une ingérence déguisée. Déclarée « capitale mondiale du trafic de faune sauvage », elle est également un centre notoire de jeux, de prostitution et de contrebande. Cette ville, contrôlée par des milices ethniques en lien étroit avec Pékin, est un exemple criant de l’influence chinoise sur les marges du Myanmar.

Mong La prospère grâce à sa proximité avec la Chine. Pendant des décennies, des Chinois de tous horizons, des fonctionnaires aux simples citoyens, ont franchi la frontière pour dépenser des fortunes dans ses casinos et marchés clandestins. Si Pékin a parfois réprimé ces excès, sa tolérance implicite a permis à cette région de devenir une enclave mafieuse, servant également de tampon géopolitique.


L’Histoire : un imbroglio d’ambitions et de calculs stratégiques

L’influence de la Chine sur le Myanmar remonte à l’après-guerre civile chinoise. Alors que les nationalistes du Kuomintang trouvaient refuge dans l’État Shan, Mao Zedong envoyait des troupes pour éliminer cette menace. Cette intervention a jeté les bases d’une méfiance durable entre le Myanmar et son puissant voisin.

Pékin a ensuite soutenu des milices ethniques comme la United Wa State Army (UWSA), qui contrôle aujourd’hui une vaste région frontalière. Cette armée, dotée d’un équipement militaire avancé fourni par la Chine, est un outil précieux pour Pékin : elle sécurise les routes commerciales stratégiques et exerce une pression constante sur les autorités birmanes.


Des infrastructures sous haute tension

L’importance stratégique du Myanmar pour la Chine ne peut être sous-estimée. L’oléoduc-gazoduc reliant le port birman de Kyaukpyu à la province chinoise du Yunnan illustre cette dépendance. Cette infrastructure clé, opérationnelle depuis 2013, court-circuite le détroit de Malacca, un point d’étranglement majeur dans les relations sino-américaines.

Cependant, les projets chinois ne sont pas sans heurts. La suspension du barrage controversé de Myitsone en 2011 a marqué un revers majeur pour Pékin, témoignant des tensions croissantes entre les généraux birmans et leur puissant voisin.


Une guerre civile sous influence

Depuis le coup d’État de 2021, le Myanmar est plongé dans un conflit où les alliances se brouillent et où les ingérences étrangères façonnent le terrain. Les forces armées de la junte (Tatmadaw) affrontent à la fois des groupes de résistance populaires, comme les Forces de Défense du Peuple (PDF), et des armées ethniques bien équipées.

La Chine, en armant indirectement des groupes ethniques via l’UWSA, joue un jeu complexe. L’opération « 1027 », lancée en octobre 2023 par une coalition de trois groupes ethniques, illustre cette dynamique. Bien que Pékin nie toute implication, la logistique et les équipements nécessaires à une telle offensive pointent vers une forme de soutien tacite.


Les paradoxes de la politique chinoise

L’intervention chinoise est doublement ambiguë. D’une part, Pékin soutient ostensiblement la stabilité du Myanmar pour protéger ses investissements, notamment le corridor économique sino-myanmarais. D’autre part, la Chine tolère, voire encourage, des actions qui affaiblissent la junte, lorsque cela sert ses intérêts à court terme.

En janvier 2024, après la prise de Laukkai par les forces ethniques, Pékin a organisé un cessez-le-feu, montrant sa capacité à influencer directement les belligérants. Mais cette stratégie de contrôle calculé a ses limites : la montée en puissance des armées ethniques menace désormais l’intégrité du Myanmar, un scénario cauchemardesque pour la Chine.


Quel avenir pour le Myanmar ?

Alors que les PDF et les armées ethniques continuent de défier la junte, un renversement complet de Tatmadaw reste improbable. Les divisions entre groupes ethniques, les limitations matérielles de la résistance et le soutien militaire continu de la Russie et de la Chine aux généraux garantissent une impasse prolongée.

Cependant, l’affaiblissement progressif de la junte pourrait ouvrir des opportunités pour une transition politique, bien que les intérêts divergents des acteurs locaux et internationaux compliquent toute solution durable.


En conclusion, la Chine joue un rôle clé, mais trouble, dans la crise actuelle au Myanmar. Son pragmatisme économique et stratégique contraste avec les aspirations démocratiques du peuple birman et les luttes intestines des forces rebelles. Si cette guerre civile semble loin de se résoudre, elle met en lumière les enjeux globaux d’un pays devenu un théâtre des rivalités géopolitiques.