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Liberté ou illusion ? Quand l’extrême droite instrumentalise un mot-clé de la démocratie

Un podium à trois marches.  Sur la plus haute marche : un homme riche, costume-cravate, baignant dans la lumière avec une pancarte « LIBERTÉ POUR MOI ».  En bas, à l’ombre : des citoyens muselés, manifestants matraqués, pancartes confisquées.  En fond : un écran géant diffusant le mot « LIBERTÉ » en lettres géantes, avec en filigrane les logos de X (Twitter), Vox, RN, Milei, etc.

De Javier Milei à Jordan Bardella, de Donald Trump à Elon Musk, en passant par les figures de Vox ou Fratelli d’Italia, la rhétorique de la « liberté » est omniprésente dans les discours de l’extrême droite et des libertariens. Mais quelle est cette liberté qu’ils défendent à cor et à cri ? Une liberté authentique et universelle, ou un hochet sémantique au service de l’autoritarisme, du capitalisme le plus brutal et de la censure sélective ?

Une liberté confisquée par l’internationale réactionnaire

Le mot est beau, chargé d’histoire et de luttes, mais aussi extraordinairement malléable. À l’instar du mot « peuple », « liberté » est devenu l’étendard consensuel d’une nouvelle extrême droite qui, de l’Argentine à la Hongrie, se présente comme la dernière ligne de défense contre un supposé totalitarisme progressiste.

Pour Javier Milei, c’est un slogan martial — « ¡Viva la libertad, carajo! » — qui cache mal une politique de destruction méthodique de l’État social argentin. Pour Éric Zemmour, c’est un rempart verbal contre la « censure woke », tout en rêvant d’une presse « patriote » et de sanctions contre les enseignants « militants ». Pour Musk, c’est un alibi de milliardaire pour défendre ses intérêts économiques sous couvert de « liberté d’expression », quitte à censurer lui-même à tour de bras.

Et pour Jordan Bardella ? C’est un rideau de fumée. Le président du RN dénonçait en janvier 2025 une prétendue volonté de l’Union européenne d’interdire X (ex-Twitter). Une fake news pure et simple. Mais peu importe la véracité : le but est de marteler un narratif. Celui d’une censure globalisée, orchestrée par une gauche tyrannique et technocratique.

Liberté d'expression : le masque d'une liberté à géométrie variable

Ce discours fonctionne d’autant mieux que la gauche, parfois, s’enferme dans des postures autoritaires, refusant le débat au nom du Bien. Mais la « liberté » que défend l’extrême droite n’est pas celle des Lumières ou des luttes démocratiques : c’est celle, infantile et cynique, de dire tout et n’importe quoi sans en assumer les conséquences.

Insultes, calomnies, appels à la haine, révisionnisme historique, désinformation climatique ou sanitaire — tout cela est revendiqué au nom de la « liberté d’expression ». Mais critiquez Musk, proposez une régulation économique, ou remettez en cause la propriété privée des grands moyens de production, et vous voilà frappé de bannissement, de procès ou de harcèlement numérique.

La réalité est crue : cette « liberté » n'est qu'un vecteur idéologique, utilisé pour dissimuler la volonté de domination d’une minorité ultra-fortunée, opposée à toute forme de redistribution ou de contrôle démocratique.

Le capital avant la démocratie

Cette instrumentalisation n’est pas nouvelle. Raymond Aron l’avait anticipé dès 1965 : « Un système économique libéral exige une dictature politique », écrivait-il. L’expérience chilienne de Pinochet l’a confirmé. Sous couvert de « liberté de marché », des dizaines d’économistes libéraux ont applaudi à la liquidation de l’État social chilien — au prix de la torture, de la censure et de la disparition forcée.

Aujourd’hui, cette logique persiste, déguisée sous des apparences « disruptives ». Peter Thiel, fondateur de PayPal, a ainsi déclaré que démocratie et liberté étaient « incompatibles ». Il rêve d’un monde dirigé par une élite éclairée – comprendre : les possédants – affranchie des contre-pouvoirs démocratiques.

Liberté pour les puissants, répression pour les autres

La politique concrète des « champions de la liberté » est un révélateur. En Hongrie, Viktor Orbán a vidé la démocratie de sa substance. En Argentine, Milei a sabré les budgets publics, marginalisé les minorités et tenté de réhabiliter la dictature militaire. Aux États-Unis, Trump a tenté de criminaliser la contestation, jusqu’à encourager un coup de force contre le Capitole.

Et Elon Musk ? Depuis qu’il a pris le contrôle de X, les suspensions de comptes ont triplé. Parmi les victimes : journalistes critiques, opposants politiques, syndicalistes, militants écologistes… y compris à droite, s’ils s’écartent de sa ligne. La liberté qu’il promeut est celle d’un autocrate numérique, pas celle d’un espace démocratique.

Une rhétorique creuse, des conséquences graves

Il serait naïf de croire que les leaders d’extrême droite défendent sincèrement la liberté. Leur obsession pour la censure vient d’un fantasme : contrôler les mots pour mieux imposer leur vision du monde. Leur usage du mot « liberté » est performatif : il ne décrit pas une réalité, il sert à légitimer un projet politique profondément antidémocratique.

Ce projet s’incarne dans une alliance internationale réactionnaire : du MEGA (Make Europe Great Again) au sommet de Madrid organisé par Vox en février 2025, où Musk, Orbán, Salvini, Le Pen et Abascal se sont retrouvés autour d’un même récit de « liberté ». Une liberté vidée de son contenu émancipateur, transformée en arme contre l’égalité, la solidarité et la démocratie.

Conclusion : la liberté contre les libertés

Quand la droite radicale parle de « liberté », elle ne parle pas de la tienne. Elle parle de la sienne : celle de maximiser ses profits, d’échapper à l’impôt, de contrôler les médias, de dicter les normes sociales et de briser toute opposition. Une liberté conçue pour les dominants, aux dépens de toutes les autres.

À nous de rappeler que la liberté ne se mesure pas à la capacité de vociférer sur un réseau social privatisé, mais à celle de vivre dignement, de penser librement, de débattre honnêtement et d’agir collectivement. Face à l’imposture, réaffirmons que la liberté n’est pas un slogan. C’est un combat.