Ou comment un magazine public qui épingle Shein, l’agroalimentaire, les banques et les géants de l’e-commerce devient soudain trop coûteux pour la République.
On croyait avoir tout vu dans ce budget 2026, déjà truffé d’expédients fiscaux, de bricolages sénatoriaux et de négociations nocturnes. Et puis survient l’épisode le plus acrobatique : la disparition programmée de l’Institut national de la consommation (INC), maison mère du magazine 60 Millions de consommateurs.
Un coup de bistouri budgétaire qui, sous prétexte d’« assainissement », ressemble furieusement à une euthanasie administrative.
Les mots sont forts — « mise à mort », « assassinat » — et ils ne viennent pas de militants exaltés, mais d’un petit aréopage qui va de Élise Lucet à Julia Cagé, de Serge Hercberg à Cécile Duflot. Bref, tout ce que la France compte de gens qui savent reconnaître l’odeur d’un contre-pouvoir qu’on enterre.
Le PLF 2026 : un enterrement de première classe
Le projet de loi de finances prévoit ni plus ni moins que la liquidation de l’INC d’ici mars 2026, assortie de la cession du magazine au privé.
L’argument du gouvernement ? Une situation financière « très dégradée ».
On appréciera l’ironie : quand les comptes d’un établissement public se tendent, on peut soit renforcer une mission d’intérêt général, soit… couper la tête. Matignon a clairement choisi l’option médiévale.
Pendant ce temps, les aides publiques à certains médias privés — surtout ceux logés dans les holdings de milliardaires — continuent de couler à flots. Les signataires de la tribune rappellent que la subvention à l’INC est passée de 6,3 millions à 2,7 millions d’euros entre 2012 et 2020, autrement dit un régime minceur qui finit logiquement par affaiblir le patient.
Un contre-pouvoir pas toujours commode pour les puissants
60 Millions n’est pas un magazine anodin.
C’est celui qui, alerté par une simple lectrice, a mis au jour le scandale des poupées sexuelles d’apparence enfantine vendues sur Shein.
C’est aussi celui qui régulièrement épingle :
les additifs douteux de l’agroalimentaire,
les frais bancaires illisibles,
l’opacité des plateformes numériques,
les arnaques aux colis importés (tiens, un sujet qui tombe très bien dans un budget où la taxe sur les « petits colis » a été relevée).
Dans une époque où la désinformation prospère, l’Élysée prétend vouloir renforcer les garde-fous. Mais la seule publication publique indépendante dédiée aux consommateurs serait, elle, sacrifiée.
Dissonance cognitive ? Maladresse ? Ou simple témérité politique ? Les lecteurs jugeront.
Une expertise publique qui disparaît avec l’Institut
On oublie trop vite que l’INC n’est pas qu’un éditeur.
C’est un réseau de :
juristes,
ingénieurs,
experts des usages numériques,
spécialistes des produits et des litiges de consommation.
Cette base de compétences alimente notamment les associations de défense des consommateurs et les autorités publiques.
L’effacer reviendrait à tirer le tapis sous les pieds d’un écosystème entier — au moment même où les litiges explosent (énergie, logement, achats en ligne, abonnements numériques…).
D’ailleurs, le coût de la liquidation elle-même est estimé à 8 millions d’euros, soit plus que la subvention annuelle qui manque à l’Institut. On appréciera ce sens de l’économie.
Un magazine qui, lui, se porte bien
Contrairement à une idée répandue dans quelques cabinets ministériels trop pressés, 60 Millions n’est pas un canard moribond :
80 000 abonnés,
20 000 à 30 000 ventes kiosque chaque mois,
une nouvelle formule éditoriale lancée en 2024,
des enquêtes souvent reprises par les grands médias.
Son déficit n’est pas celui du magazine, mais bien celui de l’établissement public, dont les ressources ont été méthodiquement rabotées.
On coupe la branche après l’avoir sciée pendant dix ans, puis on s’étonne qu’elle tombe.
Pourquoi maintenant ? Le contexte politique compte.
Le moment choisi, en plein marathon budgétaire, n’a rien d’anodin. Le gouvernement cherche désespérément des marges financières et politiques : les négociations avec les socialistes sont âpres, les sénateurs musclent les niches fiscales, et la majorité présidentielle tente d’éviter une crise institutionnelle ouverte.
Dans ce chaos, l’INC devient une variable d’ajustement : pas assez puissante pour bloquer quoi que ce soit, suffisamment symbolique pour envoyer un signal — celui d’un État qui recentre ses missions sur le régalien, quitte à laisser le consommateur se débrouiller dans la jungle numérique et commerciale.
Au-delà du cas 60 Millions : un affaiblissement du contrôle citoyen
L’affaire dépasse largement le sort d’un magazine papier.
Elle révèle :
une inquiétante érosion des contre-pouvoirs publics,
une dépendance accrue aux organismes privés pour l’information des consommateurs,
et, en creux, un choix politique assumé : laisser le marché contrôler le marché.
Le problème, c’est que l’histoire économique récente — des subprimes à Shein — a largement démontré la naïveté de cette approche.
Ce qui pourrait se passer ensuite
Trois scénarios émergent :
1. Une mobilisation publique sauve l’INC
Dans un contexte où la défiance envers les géants du numérique et du commerce explose, ce serait politiquement plausible.
2. Le magazine est cédé au privé
Avec un risque clair : adoucissement des enquêtes, dépendance accrue aux annonceurs, perte de l’indépendance éditoriale.
3. Disparition pure et simple
Ce serait la victoire d’une vision étriquée de l’État, qui abandonne un champ entier de protection citoyenne.
Conclusion — Une petite économie, un grand recul démocratique
Soyons francs : supprimer l’INC n’aura aucun effet sur l’équilibre budgétaire du pays.
Mais cela affaiblira un acteur clé de la régulation dans un moment où les consommateurs sont cernés par des pratiques commerciales agressives, des plateformes opaques, et des hausses tarifaires peu lisibles.
Sacrifier 60 Millions de consommateurs, c’est livrer les citoyens à 60 milliards de problèmes potentiels.
Un choix discutable. Et un symptôme d’une époque qui a tendance à couper les vigies avant les voiles.
“A Planned Execution”: Why France Is Dismantling 60 Millions de Consommateurs — and Why It Matters
When a government claims to fight disinformation but buries the one consumer watchdog that embarrasses multinationals, something smells off.
In the dense jungle of the 2026 French budget, full of accounting acrobatics and political firefighting, one measure stands out like a scalpel in a fruit salad: the planned liquidation of the National Consumer Institute (INC), publisher of the iconic magazine 60 Millions de consommateurs.
The wording used by critics is unusually blunt — “killing,” “execution,” “assassination.”
And these aren’t the words of fringe activists, but of a coalition ranging from investigative journalist Élise Lucet to economist Julia Cagé, from nutrition expert Serge Hercberg to Oxfam’s director Cécile Duflot.
When such people panic in unison, it’s rarely for nothing.
The 2026 Budget: An Execution Disguised as Reform
The draft Finance Bill currently before Parliament schedules the liquidation of the INC by March 2026, with its flagship magazine to be sold off to a private actor.
The official justification? The institute’s “severely degraded” financial situation.
Convenient.
Especially when the same government continues to pour hundreds of millions in subsidies into private media groups owned by France’s wealthiest industrialists.
Meanwhile, the INC’s own subsidy was cut from €6.3 million in 2012 to €2.7 million in 2020, a starvation diet designed to produce exactly the deficit it is now being reproached for.
One might call it a self-fulfilling austerity prophecy.
A Watchdog That Made the Powerful Nervous
60 Millions is not your typical lifestyle magazine.
This is the newsroom that:
exposed child-like sex dolls sold on Shein,
dissected misleading food labelling,
revealed abusive bank fees,
investigated shady telecom contracts and delivery scams,
and regularly took on Amazon, TikTok, the energy giants, and the dubious miracles of “AI-powered” gadgets.
In short: a modest but effective counter-power.
Exactly the kind of publication you would expect a democracy to strengthen when disinformation spreads like wildfire.
Yet the government is preparing to bury it — while publicly claiming to fight fake news.
The contradiction is almost artistic.
The INC: More Than a Magazine, a Public Expertise Network
Erasing the INC doesn’t just mean losing a print title.
It also means dismantling a network of:
legal specialists,
product safety experts,
digital regulation analysts,
consumer-rights advisors,
who support associations, regulators, and ordinary citizens facing increasingly sophisticated commercial practices.
Liquidation would cost around €8 million — ironically, more than what would be needed to keep the institution afloat.
Fiscal responsibility, apparently, is flexible.
Meanwhile, the Magazine Itself Is Doing Fine
Contrary to the “it was dying anyway” narrative, the magazine is financially viable:
80,000 subscribers,
20,000 to 30,000 newsstand sales per month,
a refreshed editorial format launched in 2024,
and consistent national media pickup.
The deficit lies not in the publication, but in the hollowed-out public institute.
Cut the oxygen for years, then complain the patient doesn’t breathe — classic administrative hypocrisy.
Why Now? Politics, of Course
The timing is suspiciously convenient.
The government is juggling:
a fragile majority,
tense negotiations with the left,
criticism from the Court of Auditors,
and the need to find symbolic “savings” that do not anger the markets.
A modest public institute without strong political backing?
Perfect sacrifice.
The kind that sends the message: “The State will focus on the hard core — everything else, good luck.”
The True Stakes: Weakening a Civic Counter-Power
This goes far beyond consumer advice.
It signals:
the erosion of public, independent oversight,
the privatization of citizen information,
and a troubling political doctrine: let the market regulate the market.
A doctrine we’ve tried many times before — usually right before some scandal erupts.
What Comes Next? Three Scenarios
1. A public backlash forces a U-turn
The defense of consumer rights is popular. A reversal is possible.
2. The magazine is bought by a private media group
Expect softened investigations and greater dependence on advertisers.
3. The magazine disappears
A quiet democratic regression, neatly wrapped in budget jargon.
Conclusion — A Tiny Budget Cut, a Major Democratic Loss
Eliminating the INC won’t save the French budget.
It won’t calm the markets.
It won’t solve inflation, debt, or deficit issues.
But it will remove a modest but essential watchdog in an era of skyrocketing scams, opaque algorithms, dangerous products, and globalised commerce where citizens are too often left alone.
Killing 60 Millions de consommateurs isn’t a reform.
It’s a blind spot masquerading as fiscal prudence.
And every democracy that destroys its own watchdogs finitely regret it — usually when the predators have already entered the house.