Musk contre Trump : l’axe du dollar se fissure-t-il ?

L’une des alliances les plus inattendues de la scène politico-économique américaine est-elle en train de voler en éclats ? Après des années de relations ambivalentes avec Donald Trump, Elon Musk vient de franchir un cap en dénonçant violemment le nouveau plan fiscal de l’ex-président. Simple divergence ponctuelle ou signe d’une rupture plus profonde entre les milieux techno-industriels et le trumpisme ? Décryptage.

Elon Musk vient de lancer l’une de ses attaques les plus virulentes contre Donald Trump, sur fond de désaccord majeur autour d’un nouveau projet de loi fiscale. Ce coup d’éclat marque-t-il un véritable tournant politique pour le milliardaire, ou s’agit-il d’un épisode de plus dans une relation ambivalente avec l’ex-président républicain ?

Une "abomination répugnante"

Tout est parti du projet de loi « Tax & Spending Act » défendu par Trump en vue de son retour à la Maison Blanche en novembre 2024. Ce texte prévoit notamment :

la prolongation des réductions fiscales pour les hauts revenus votées sous le premier mandat de Trump,

une augmentation du plafond de la dette fédérale,

des coupes dans les prestations sociales,

la suppression de subventions en faveur des énergies vertes,

et un tarif douanier universel de 10 % sur toutes les importations.

Selon plusieurs projections (notamment du Tax Policy Center), ce plan entraînerait une réduction des recettes publiques d’environ 3 000 milliards de dollars sur dix ans, tout en favorisant les plus riches à hauteur de 664 milliards de dollars. Une "abomination répugnante", selon Musk, qui s’est fendu d’un message rageur sur son réseau X (ex-Twitter) :

« Je suis désolé, mais je n’en peux plus. Ce projet est un suicide économique et une trahison des promesses faites aux Américains. »

Le patron de Tesla et SpaceX a même averti les élus républicains qu’un soutien au texte pourrait leur coûter cher lors des élections de mi-mandat de 2026.

Une relation faite de clashs récurrents

Ce n’est pas la première passe d’armes entre Trump et Musk. Leur relation a toujours été marquée par des frictions :

Climat : Musk avait quitté en 2017 le Conseil économique de Trump après son retrait des Accords de Paris sur le climat, exigeant que le président prenne le réchauffement climatique au sérieux.

Commerce : En 2020, Musk avait traité Peter Navarro, conseiller commercial de Trump, d’« idiot » pour ses attaques contre Tesla concernant ses chaînes d’approvisionnement internationales.

Réseau personnel : Musk n’a jamais digéré que Trump refuse de nommer Jared Isaacman (ami et partenaire du PDG de SpaceX) à la tête de la NASA — celui-ci ayant fait un don aux démocrates.

Musk trahi et isolé ?

Autre élément de crispation : Musk avait été récemment consulté par les équipes de Trump pour identifier des pistes d’économies dans le secteur public (projet surnommé « Doge Department » par dérision). L’annonce du nouveau plan fiscal, sans aucune concertation préalable avec lui, a été vécue comme une trahison.

Un soutien surprise des démocrates

Le camp démocrate ne s’est pas privé de saluer la prise de position de Musk. Bernie Sanders a sobrement posté sur X :

« Musk a raison. »

Hakeem Jeffries, chef de file démocrate à la Chambre, a renchéri :

« Elon Musk et moi sommes d’accord pour dire que ce plan est un désastre. »

Faut-il y voir un réalignement politique ? Elon Musk avait soutenu Barack Obama, Hillary Clinton et Joe Biden par le passé, avant de se rapprocher de Trump et de positions plus droitières, notamment à travers sa gestion controversée de X, où circulent désormais de nombreuses théories complotistes de droite.

Vers un véritable basculement ?

Pour le politologue Philipp Adorf (Université de Bonn), il est peu probable que Musk rejoigne durablement le camp démocrate :

« Ces dernières années, Elon Musk s’est clairement rapproché de l’extrême droite sur X. Il a perdu beaucoup de crédit auprès des progressistes. »

Dans ce contexte, Adorf le met en garde :

« Pour protéger les intérêts de ses entreprises (Tesla, SpaceX, Starlink), mieux vaudrait ne pas s’aliéner trop frontalement une Maison Blanche républicaine. Trump a la mémoire longue et n’hésite jamais à se venger de ses anciens alliés. »

Conclusion : bataille idéologique ou posture opportuniste ?

Derrière ce clash, on retrouve le mélange de convictions et de calculs opportunistes qui caractérisent la trajectoire politique d’Elon Musk. Farouche partisan des énergies vertes et de la conquête spatiale, il est aussi soucieux de défendre ses intérêts fiscaux et commerciaux. Son opposition frontale au projet de Trump pourrait bien être, avant tout, un avertissement à l’adresse de la future majorité républicaine.

Reste à voir si cette prise de distance s’inscrira dans la durée, ou si, fidèle à son style imprévisible, Musk renouera demain avec Trump... pour peu que les circonstances y soient favorables.