Santé en péril : vers une privatisation masquée ?
Un système en sursis : l’ombre d’une privatisation
L'année 2025 pourrait marquer un tournant dans le paysage de la santé en France. Alors que les besoins explosent sous l’effet du vieillissement de la population, le gouvernement Barnier envisage de maintenir les financements hospitaliers quasi stables. Derrière ce choix budgétaire se profile une question cruciale : assiste-t-on à une lente bascule vers une privatisation du système de santé ?
Michel Barnier déclarait récemment vouloir « faire des économies ». Parmi les solutions : augmentation du coût des consultations et baisse des remboursements. Pour les professionnels, ces mesures équivalent à une « course à la productivité » qui met en péril le service public. Avec un déficit hospitalier dépassant les 2 milliards d’euros en 2024, le modèle actuel craque de toutes parts. L’été 2023, déjà qualifié de catastrophique, a exposé ces failles : pénurie de lits, attentes interminables aux urgences et manque chronique de personnel.
La santé des Français : victime collatérale d’un système à bout de souffle
Un vieillissement inéluctable et des besoins croissants
Bonne nouvelle, les Français vivent plus longtemps : l’espérance de vie atteint aujourd’hui 85,2 ans pour les femmes et 78,7 ans pour les hommes. Mais cette longévité accrue s’accompagne d’une explosion des maladies chroniques. Ces affections de longue durée (ALD), telles que les pathologies cardiovasculaires ou psychiatriques, touchent désormais 12 millions de personnes. Leur prise en charge mobilise plus de 60 % des dépenses de santé.
Selon l’Inserm, la part des personnes de plus de 60 ans passera d’un quart de la population en 2015 à un tiers d’ici 2040. Face à cette évolution démographique, le système de santé peine à s’adapter. Manque de coordination, prévention insuffisante : autant de défis auxquels s’ajoute une inégalité flagrante d’accès aux soins.
Inégalités sociales et santé : un fossé qui se creuse
La santé des Français est fortement corrélée à leur niveau de vie. Les plus précaires, exposés à des conditions de logement médiocres ou à des habitudes alimentaires dégradées, sont davantage touchés par les maladies chroniques. L’écart d’espérance de vie entre les 10 % des hommes les plus riches et les plus pauvres atteint 13 ans. Ces inégalités se répercutent dès la naissance : les mères non diplômées ont 50 % de chances supplémentaires d’accoucher d’un enfant en sous-poids, augmentant le risque de pathologies à l’âge adulte.
Le rôle des soins primaires : un maillon en crise
Des généralistes en nombre insuffisant
Le médecin traitant est un pilier central du parcours de soins. Pourtant, la densité de généralistes chute, passant de 156 pour 100 000 habitants en 2012 à 146 en 2023. Cette tendance, aggravée par des départs massifs à la retraite, laisse près de 6 millions de Français sans médecin traitant. Pour les personnes souffrant d’ALD, c’est une double peine : en 2022, plus de 700 000 d’entre elles n’avaient pas de suivi médical régulier.
Un déséquilibre géographique et financier
Les zones rurales et certains départements, déjà sous-dotés, subissent une baisse continue de leur densité médicale. Simultanément, les dépassements d’honoraires explosent : dans plus de la moitié des départements, un spécialiste sur deux pratique des tarifs libres. Ces coûts supplémentaires pénalisent les plus précaires, déjà trois fois plus susceptibles de renoncer aux soins.
Les hôpitaux sous pression : vers une segmentation public/privé
Moins de lits, plus de patients
Depuis 2008, le nombre de lits d’hospitalisation longue durée a diminué de 10 %, tandis que les places en hospitalisation partielle, moins coûteuses, augmentaient de 33 %. Mais cette réorganisation profite surtout au privé : en 2022, ce secteur accueillait 40 % des hospitalisations partielles, souvent plus rentables. En revanche, les hôpitaux publics, contraints à un accueil inconditionnel, concentrent les cas complexes et peu rémunérateurs.
Une logique de rentabilité aux dépens des patients
La tarification à l’activité (T2A), introduite en 2004, favorise les actes techniques rapides au détriment des soins de coordination, essentiels pour les pathologies chroniques. Ce mécanisme alimente une discrimination croissante : les séjours longs et coûteux restent l’apanage du public, tandis que le privé capte les soins plus lucratifs.
Un glissement vers le privé : quels enjeux pour demain ?
La montée en puissance des complémentaires santé
La réduction du remboursement par l’Assurance maladie renforce le rôle des assurances complémentaires. Problème : 2,5 millions de ménages n’en disposent pas, ce qui aggrave leur reste à charge. Les personnes en ALD, déjà confrontées à des dépenses de santé supérieures à la moyenne, voient leurs frais non remboursés s’envoler, atteignant près de 800 euros par an.
Une privatisation contre-productive
Selon une étude du Lancet, la privatisation des hôpitaux s’accompagne d’une réduction des effectifs et d’une détérioration des soins. Les établissements privés, orientés vers la rentabilité, privilégient les patients « rentables » et réduisent leurs effectifs infirmiers qualifiés. Cette logique marchande entraîne une baisse de qualité, particulièrement pour les pathologies complexes.
Vers un choix de société
Le système de santé français, longtemps reconnu comme l’un des meilleurs au monde, traverse une crise existentielle. Derrière les choix budgétaires et organisationnels se dessine une transformation profonde, marquée par une montée en puissance du privé. Mais à quel prix ? Si l’objectif est d’améliorer la santé publique, les bénéfices d’une privatisation restent largement à démontrer. Au contraire, les données actuelles pointent vers une aggravation des inégalités et une baisse de qualité pour les soins les plus lourds.
Face à ces constats, une question s’impose : la santé doit-elle rester un bien commun, ou devenir une marchandise comme une autre ? Les décisions à venir définiront non seulement l’avenir du système de santé, mais aussi la vision de la solidarité au cœur de notre société.