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"C'est la crise !" : un mot galvaudé qui cache les impasses de notre système

Cette image capture le paysage médiatique chaotique avec des titres de journaux, des écrans de télévision et des flux de réseaux sociaux affichant tous "CRISE" en gros titres. En arrière-plan, une figure ombrée représentant le "système" se cache derrière ce vacarme.

Ah, la « Crise » ! Un terme usé jusqu'à la corde par nos chers politiciens et médias depuis un bon demi-siècle. À force d'être utilisé à toutes les sauces, ce mot finit par cacher les vraies dérives de notre système. Un peu de sociologie, de philosophie et d'histoire nous aide à comprendre comment l'usage abusif de ce terme détourne notre regard de la saturation du capitalisme.

Le premier choc pétrolier des années 70 a lancé la mode du mot « crise » dans les discours politiques et médiatiques. Depuis, on a vu les générations post-Trente Glorieuses, grandir dans l'ombre de cette fameuse « Crise », en contraste avec les baby-boomers qui, eux, se la coulaient douce avec leurs rentes. Les trois décennies d'après-guerre avaient laissé croire à une ère de prospérité sans grandes crises économiques. Ah, douce illusion !

Mais depuis, les crises se sont multipliées : choc pétrolier, krach de 1987, bulle Internet de 2000, krach de 2007, crise des dettes souveraines, crise du Covid... On a de quoi faire. Le mot « crise » est devenu un fourre-tout, utilisé pour tout et n'importe quoi, de la révolte des Gilets jaunes à la crise existentielle de la famille, en passant par les tensions géopolitiques et les bouleversements écologiques.

### Crise ou décadence ?

L’usage excessif du mot « crise » nous empêche de voir les choses clairement. Le philosophe Jean-Luc Marion nous rappelle que l’étymologie grecque de « krisis » renvoie à l’idée de jugement, de décision. Myriam Revault d’Allonnes, quant à elle, souligne le caractère paroxystique et décisif du terme en médecine, comme le moment critique d’une maladie. En d'autres termes, une crise ne peut pas durer indéfiniment.

Comparons cela à la « décadence », qui elle, implique une chute lente et continue. Marion oppose cette idée à la crise, qui implique une rupture, une décision. Marc Ferro, historien, soulignait la perte de pouvoir des gouvernants face à des crises récurrentes. François Mitterrand disait : « Contre le chômage, on a tout essayé. » Lionel Jospin ajoutait : « Il ne faut pas tout attendre de l'État. » Un aveu d’impuissance, non ?

### Une lumière au bout du tunnel ?

En 1984, l'émission « Vive la crise ! » montrait une vision optimiste de la crise, comme une opportunité de changement. Alain Minc et Jacques Attali y voyaient une chance de réformes, de sacrifices pour un avenir meilleur. Yves Montand, avec sa verve habituelle, incitait chacun à prendre son destin en main : « C’est vous et vous seul qui pouvez trouver la solution. »

Ce discours est encore présent dans le discours politique actuel, où chaque crise est vue comme une étape vers un avenir radieux. Mais cette vision masque souvent les vraies responsabilités et les causes profondes des crises, en pointant du doigt des coupables de circonstance comme les traders ou les politiques de certains dirigeants étrangers.

### La saturation du Progrès et du capitalisme

Au-delà de la politique à court terme, le terme « crise » reflète aussi notre rapport au temps et à l'Histoire. Michel Maffesoli parle d’une modernité finissante et d’une postmodernité émergente. Nous sommes dans un entre-deux, une époque qui n’en finit pas de mourir, saturée d’informations et de sollicitations, avec un sentiment d’impuissance face à un système complexe et rapide.

Myriam Revault d’Allonnes rappelle que le concept de crise a pris son essor aux XVIIe et XVIIIe siècles avec l'idée de Progrès. Aujourd'hui, cette idée est discréditée par les horreurs du XXe siècle et les défis contemporains comme l’arme nucléaire ou le changement climatique. L'avenir fait peur, et la notion de crise reflète cette angoisse et notre incapacité à imaginer un autre système que le capitalisme, malgré ses limites évidentes.

### Vers une nouvelle ère ?

Rappelons la signification originale de la crise : une occasion de jugement, de décision. Le sociologue Immanuel Wallerstein disait : « Dans dix ans, on y verra peut-être plus clair ; dans trente ou quarante ans, un nouveau système aura émergé. » La crise, en tant que moment décisif, pourrait nous sortir de notre dérive actuelle et nous conduire vers un sursaut nécessaire.

En somme, arrêtons de voir la « Crise » comme un état permanent et inévitable. Utilisons-la comme un levier pour repenser notre société et nos systèmes. C’est en retrouvant le sens originel du mot que nous pourrons espérer sortir de cette longue période de stagnation et de déclin. Après tout, une crise est avant tout un moment pour agir, juger et décider. Alors, qu’attendons-nous ?