L’impuissance programmée du gouvernement face aux projets d’austérité de l’Union européenne
Pacte de stabilité, procédure de déficit excessif, trajectoires de réduction budgétaire… Ces termes peuvent sembler abstraits, et pourtant, ils vont façonner l'avenir de la politique économique de la France pour les sept prochaines années. Indépendamment du gouvernement en place ou du prochain Président de la République, ces mécanismes européens vont dicter la trajectoire économique de notre pays.
L'austérité imposée par Bruxelles
L’Union européenne impose à ses États membres une politique bien connue : l’austérité. Ce cadre a été mis en place avec l’adoption du pacte de stabilité et de croissance en 1997 sous la présidence de Jacques Chirac, qui visait à maintenir une discipline budgétaire stricte dans la zone euro. Ce pacte fait partie de l’architecture juridique de l’UE, aux côtés de principes comme la libre circulation des capitaux et l’interdiction de la dévaluation monétaire.
Ce cadre a été durci en 2011 et 2013, avec l’introduction des paquets législatifs du Six Pack et du Two Pack. Ces nouvelles règles ont contribué à imposer des plans d'austérité dans plusieurs pays européens après la crise financière de 2008, entraînant une décennie de stagnation économique pour de nombreux États, notamment en Grèce, en Espagne et en Italie.
Le 29 avril 2024, à la demande du gouvernement allemand, un nouveau règlement a été adopté pour réformer une nouvelle fois le pacte de stabilité. Cette réforme, présentée comme une réponse aux erreurs passées, vise à individualiser les trajectoires de réduction des déficits, tout en maintenant une règle stricte : un déficit public ne doit jamais excéder 3 % du PIB, conformément au traité de Maastricht.
La France de nouveau sous surveillance
La France est une des premières concernées par cette réforme. Depuis le 26 juillet 2024, elle est de nouveau placée sous la surveillance de la Commission européenne avec l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif. C’est la quatrième fois que la France se trouve dans cette situation depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993. La précédente procédure, ouverte en 2009 à la suite de la crise des subprimes, a duré près de 10 ans avant d'être clôturée en 2018.
Si la France était repassée sous la barre des 3 % de déficit en 2018 et 2019, la crise du coronavirus et le programme « quoi qu’il en coûte » ont à nouveau fait exploser ce seuil. Un sursis avait été accordé aux États membres en 2020, avec l’activation de la clause de sauvegarde du pacte de stabilité, mais cette clause a été désactivée en 2024, plaçant la France sous pression pour respecter les nouvelles règles.
À partir de maintenant, la France et huit autres États membres de l'UE devront expérimenter les nouvelles contraintes du pacte de stabilité réformé.
Qu’impliquent les nouvelles règles ?
La réforme de 2024 prévoit que les États en déficit excessif disposent de 4 à 7 ans pour ramener leur déficit sous la barre des 3 %, avec un plan de réduction des dépenses publiques élaboré sous la supervision de la Commission européenne. Ce plan, appelé trajectoire de référence, est proposé par la Commission et doit ensuite être traduit par l’État concerné en un plan budgétaire et structurel à moyen terme.
Concrètement, la Commission européenne dicte la politique budgétaire des États membres, limitant leur souveraineté. Pour la France, cela signifie qu’elle devra soumettre son plan d’austérité à la Commission d’ici le 20 septembre 2024, en détaillant les réformes nécessaires pour réduire les dépenses et ramener le déficit sous contrôle.
La Commission européenne aux commandes
Dans cette nouvelle configuration, la Commission européenne dispose d’un contrôle renforcé. Elle fixe les prévisions macroéconomiques, fournit les projections de dette publique, et détermine la trajectoire budgétaire que l’État devra suivre. Il ne s’agit donc plus seulement de commenter les politiques nationales, mais bien de les écrire.
Autre élément marquant : le Parlement français ne sera pas nécessairement consulté dans l'élaboration de ce plan. Cette consultation est laissée à la discrétion du gouvernement, qui pourrait choisir de soumettre ou non le plan à un débat parlementaire. En effet, depuis 2011, seuls deux programmes de stabilité ont été discutés au Parlement. La décision finale repose donc entre les mains du gouvernement.
Si la France ou tout autre État concerné ne suit pas la trajectoire budgétaire imposée, la Commission peut exiger un plan révisé. Elle dispose également du pouvoir de rejeter un budget national, comme ce fut le cas avec l’Italie en 2018, si celui-ci dévie trop du cadre fixé.
Des marges de manœuvre limitées
Les États peuvent bénéficier d’un délai supplémentaire de trois ans pour se conformer aux nouvelles règles (portant la durée totale à sept ans), à condition qu'ils s’engagent à réaliser des réformes structurelles ou à investir dans des projets verts. Pour la France, cela pourrait signifier des réformes dans des domaines sensibles comme les retraites, le marché du travail ou les dépenses de santé. Il est probable que ces réformes servent de prétexte pour justifier une nouvelle vague de mesures d’austérité.
Une fois le plan soumis, la France devra rendre compte chaque année de ses progrès dans un rapport d’avancement à la Commission européenne. Là encore, le gouvernement aura le choix de consulter ou non le Parlement et les partenaires sociaux sur ces rapports.
L’austérité comme unique horizon ?
En fin de compte, ces règles font de l’austérité la politique économique incontournable pour la France dans les années à venir. Quel que soit le gouvernement en place, il sera contraint par ces mécanismes européens de réduire les dépenses publiques et de suivre les trajectoires fixées par Bruxelles.
Si ces nouvelles règles se veulent plus flexibles en accordant plus de temps pour réduire le déficit, elles demeurent néanmoins très strictes. Sous la pression de l’Allemagne, les États doivent désormais réduire leur déficit d’au moins 1 % du PIB par an s’ils dépassent un ratio d’endettement de 90 % du PIB (ce qui est le cas de la France). Ces obligations laissent peu de place à une politique budgétaire autonome.
Un rapport du think tank Bruegel, publié en juin 2024, estime que la France devra ajuster son budget de 0,94 % du PIB par an, ce qui représente environ 26,4 milliards d’euros d’économies chaque année. Un ajustement budgétaire considérable qui reflète déjà les choix budgétaires annoncés par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
Et si un nouveau gouvernement arrivait au pouvoir ?
Même l'arrivée d’un nouveau gouvernement ne changerait pas radicalement la situation. Bien que le règlement permette à un nouveau gouvernement de proposer un nouveau plan budgétaire, celui-ci devra strictement suivre la trajectoire imposée par la Commission et le Conseil. Autrement dit, aucune alternance politique ne pourra modifier les grandes lignes de la politique économique française.
L’illusion de la souveraineté économique
La situation actuelle souligne l’impuissance des dirigeants français face à la machine européenne. L’austérité imposée par Bruxelles n'est ni cachée, ni dissimulée. Pourtant, elle est rarement expliquée aux citoyens ou débattue dans les médias.
Depuis 30 ans, la politique économique de la France est conditionnée par des règles européennes. Mais ni les grands médias, ni la classe politique ne semblent prendre la mesure de cette réalité, entretenant l’illusion qu'une alternance pourrait changer le destin économique du pays. En vérité, la souveraineté budgétaire est désormais réduite à peau de chagrin.
Même si certains ajustements, comme la taxation des hauts revenus ou la justice fiscale, sont encore possibles, la marge de manœuvre reste très limitée. Tant que la France restera dans le cadre de l’euro et des règles du pacte de stabilité, les perspectives d’une politique économique indépendante resteront une illusion.
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